Discussion avec Jean-Luc Saumade

Aujourd'hui, j'ai eu l'occasion d'aborder l'un de mes scénarios avec un scénariste, M. J-L. Saumade. Il s'agit d'un scénario filmique de court-métrage, dont le principal défaut (et je le sais d'autant plus que ça m'arrive à chaque fois) est d'être trop étoffé.


Je m'explique : j'ai une fâcheuse tendance à explorer consciencieusement mon univers.

Ce n'est pas un défaut en soi. C'est même d'ailleurs une qualité dont jouissent de nombreux scénaristes, et que les prétendants à ce titre (ou même les auteurs occasionnels) devraient chercher à acquérir. Plus précisément, j'aime être rigoureusement au courant des connaissances humaines (dans les domaines scientifiques notamment), ainsi que les évènements historiques attachées à l'époque dans lequel s'inscrit mon récit. Vient alors mon coté perfectionniste qui arrive au grand galop... et qui me fait monter un master de cent cinquante pages pour un petit projet sans prétention dont la finalité est 20minutes...


Car oui, le scénario est gâchis.
Jeunes auteurs en herbe, si vous en doutiez encore...


Si vous me permettez de vous présenter succinctement et non-professionnellement le projet, le voici :
Dans une France de la fin du XIXe siècle, à l'ère de l'industrialisation, où la biologie et l'assistance médicale robotique automatisée se développent de concert, la guerre contre la Prusse s'éternise. Claude, prothésiste et artisan d'automate, accueille dans son cabinet les infirmes, les amputés et les estropiés pour les greffer et tenter de les réintégrer dans la société, pendant que s'entassent dans les officines de fortune montées au cœur les petits villages les blessés et mourants. Son amour pour son métier et son code moral seront mis à l'épreuve par l'arrivée d'un homme : Ernst Wagner, désirant une prothèse.

Vous l'aurez peut-être remarqués, il s'agit là d'une uchronie, inspiré de l'univers steampunk vernien. Si notre ère est au minimalisme, celle de cette fiction est au maximalisme (et croyez-le ou non, mais il est bien plus complexe de construire une uchronie que de rester fidèle à l'Histoire). En effet, l'énergie à vapeur, les immenses rouages, les machineries en cuivre, ... toute la mécanique bien huilée est glorifiée. Et y sont associés des domaines, comme, exemple s'il en est, la médecine. 
Dans une telle période, la société est valorisée et l'individu dévalué ; la machine prédomine vis-à-vis d'un homme, singulier. La Science est le cheval de bataille de la Civilisation.

Vous comprendrez donc aisément la masse d'informations qu'il a fallut rigoureusement réunir pour dominer les sujets traités, à savoir : la médecine du XIXe (les traitements et instruments, les us et coutumes-croyances-remèdes), les connaissances anatomiques (notamment les réseau et systèmes nerveux et sanguins, la neurologie, les muscles et les greffes déjà pratiqués jusqu'alors), les métaux et alliances connus et manufacturés (avec leurs propriétés et leur utilisation), les détails historiques liés à la guerre Franco-prussienne, la machinerie de l'époque, etc.
Et les recherches ne se sont pas limitées au pré-19e siècle, mais aussi au 20e et 21e, puisqu'il s'agit d'une uchronie. Ainsi donc, il est question d'associer des découvertes post-19e siècle à des évènements historiques pré-19e siècle. Et fictionnaliser un peu tout ça, en y mêlant un peu de grain personnel à moudre.



La discussion qui a suivi avec J-L. Saumade a été fructueuse, d'un certain point de vue.

Bien évidemment, discuter d'un scénario le fait invariablement évoluer, que ce soit dans le fond, la forme, ou la vision que l'auteur a de l'une ou de l'autre. Le point nodal de notre discussion peut se résumer en deux choses :
- un récit trop complexe pour du film de 20 minutes,
- et un personnage principal complexe.
Et j'avouerai que ça m'a chagriné. Mes préoccupations étaient plus centrées sur le temps du récit et les analepses, l'univers vaporiste (steampunk si vous préférez), ainsi que l'évolution du protagoniste (ce dernier point que l'on a, heureusement, traité).

J'ai la fâcheuse tendance à penser que, même s'il faut rester dans les lois du vraisemblable et de la causalité, intrinsèquement liés par leur définition même, il est possible de proposer une déraison ponctuelle et brève (par exemple si elle entraine le remord, ou si elle était motivée par un sentiment fort comme la haine). J'ai aussi tendance à penser qu'un personnage peut agir en contradiction avec sa ligne de conduite le temps d'un dessein (si cela est justifié, bien entendu, mais pas forcément dans l'instant. On peut en connaitre la cause plus tard (car là, il est question de causalité)).
S'il nous est possible de proposer des fins ouvertes, il nous est aussi possible de proposer une fin générée par une action nous apparaissant, au premier abord, sinon imprévisible, aberrante. Ne prenons pas le public pour plus bête qu'il n'est (je sais, parfois, c'est dur), il est évident qu'il cherchera à comprendre les actions d'un personnage.

  « Car le but n’est pas de faire faire à votre héros des choses pour qu’on l’aime, mais bien pour qu’il nous intéresse, qu’il nous étonne. [...] Pour cela nous allons lui donner à faire des choses inattendues qui vont perturber la compréhension de nos spectateurs et les obliger à rester attentif. »
dixit Olivier MARTIN


L'être humain, dans sa mentalité, est complexe. Si tout personnage peut être basé sur un archétype, il est possible de lui donner de l'épaisseur. Je ne parle pas ici de fioriture, mais réellement d'une complexité "normale", d'une complexité évidente constitutive au statut d'Homme. Il arrive que la Raison soit dépassée par des sentiments, fut-ce une folie passagère (une facilité dans de nombreux cas, mais il peut en être autrement si c'est bien amené). Dans le cas présent de mon scénario, je vois ça comme un moyen de donner un autre souffle à la fiction, ainsi que différents niveaux d'interprétation. Des interprétations qui pourront toutes être valables, probables, qui seront des hypothèses mais jamais une vérité finie et définie.

Ainsi, l'action du protagoniste sera justifiable, mais gardera une part d'incertitude ou incompréhension, car c'est dans la nature humaine d'être parfois émulé par des pulsions indécises. Et un léger doute persistera toujours, et prolongera la vie du film après sa fin "cinématographique".


Et sur cette vision, je ne pense pas que J-L. Saumade soit hostile. En revanche, et il a été légitime de se concerter sur ce point, introduire cette volonté dans un court-métrage n'est-il pas de trop ? Est-il question d'étoffer ou d'étouffer ?

Dans un format assez court, qui limite la construction du personnage sur la durée, est-ce là approprié ? La question se pose encore à moi. Je regrette encore de ne pas avoir évoqué une volonté de ne pas faire éprouver de compassion pour le protagoniste, mais bon... Il m'a conseillé de creuser du coté du personnage antagoniste. Le rendre plus vindicatif, et lui donner une autre vision de la technologie. Qu'il voit dans la biomécanique un moyen de surpasser sa condition d'Homme dans un certain aspect, et d'atteindre une forme de perfection dans le domaine qu'il cible (la peinture). Et c'est dans cette construction que l'opposition humanité (protagoniste) / technologie (antagoniste) pourrait se faire.



Il faut faire des concessions. Sur un format aussi court, l'archétype semble inévitable pour les personnages secondaires. Et il n'est possible de détailler et développer dans la continuité dialoguée qu'un seul personnage (et très souvent, le personnage principal. C'est encore plus le cas si la focalisation est interne). Si je veux détailler le protagoniste, il faut placer l'antagoniste sur un paradigme, un modèle déjà bien exploré qui ne perdra pas trop de spectateur.


Je vais avouer quelque chose... une phrase m'a sensiblement affectée dans cette discussion :
« Tu vas devoir en enlever »  
Naturellement, c'est constitutif à la réécriture que d'enlever, de condenser, de suggérer, de faire abstraction et de passer sous silence. Mais quand c'est une personne autre que soi-même qui le dit... c'est douloureux à entendre...



Vous pouvez retrouver Jean-Luc Saumade sur http://www.lestudioduscenario.com/ pour voir son parcours professionnel et ses projets en cours.

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