Psychologie versus Mentalité

Il est un combat de tous les instants que de parler de mentalité de personnages plutôt que de psychologie.


Pourquoi ce combat ? Vous allez voir que c'est très simple.

Il est vrai que pour un scénariste, il n'y a pas grandes conséquences de parler de psychologie d'un personnage, étant donné qu'il le construit et l'imagine tel qu'il le désire dans le cadre de sa fiction (ce personnage peut être créé de toute pièce ou bien inspiré, il est de toute façon réduit à la vision qu'en a le scénariste tant qu'il n'a pas été élevé au rang de personnage interprété). Le réel problème, vous l'aurez compris en lisant la précédente parenthèse, est relayé aux comédiens-interprètes.
Je m'intéresse donc ici au scénario de cinéma, de théâtre et de fiction sonore, et non à celles destinées à un support final papier (bande dessinée par exemple).


Beaucoup diront qu'il ne s'agit là que d'un souci sémantique, et je ne leur donnerai pas tort. Mais nous sommes tout de même dans un domaine hautement grammatical, même si nous fuyons l'aspect littéraire dans nos écritures. Les mots ont une importance, c'est même ce qui constitue notre œuvre, et il me parait une bien piètre échappatoire que d'user de cette excuse minable du "tu joues sur les mots".


Mais évidemment que je joue sur les mots ! C'est inhérent à mon écriture ! (et à la tienne il parait, mais on n'est plus aux pièces)


Jamais vous n'entendrez de la bouche d'un comédien de théâtre parler de "psychologie", très justement parce que son travail est de "comédier", d'interpréter, de créer le personnage qu'il joue. La psychologie est l'étude scientifique de faits, d'agissements, d'une personnalité et d'un comportement (d'une façon de se comporter et d'agir). Essayez donc, après une telle définition, d'apporter la notion de regard, de point de vue, plus simplement d'interprétation ! La psychologie énonce une unique façon d'incarner (c'est-à-dire de se mettre dans la peau, de se glisser dans une coquille vide pour lui donner le mouvement qui la fera agir) un personnage : il n'y a aucune interprétation, pour la simple et bonne raison qu'il est dicté une unique façon de faire vivre le personnage.

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je répugne quelque peu le terme d' "acteur" de cinéma. L'idée de mettre en action, et simplement de mettre en action, mettre en branle un carquois rigide, tel un automate dont il ne manquerait que les piles... où serait l'avenir de la profession ?


Alors que les termes "comédien" et "interprète" donnent tellement plus de sens au réel travail et talent des gens concernés. Il n'y a pas de psychologie, il n'y a que mentalité. Le scénariste imagine son personnage dans sa manière de penser, mais laisse libre champ au comédien de la façon dont il communiquera le résultat de sa réflexion dans son jeu. Il n'y a pas à parler de tempérament ou de science du comportement humain, car auquel cas, comment justifiez vous l'existence de tant de Sganarelle, de tant de Dom Juan, tous sensiblement singuliers alors qu'ils découlent des mêmes dialogues ?

Si le scénariste définit la manière de penser de son personnage, le comédien sera celui qui se pose les questions et y répond par la façon définie.
Si le scénariste écrit le choix prit par son personnage dans une situation donnée, il revient au comédien de s'adonner à la réflexion menant à ce choix.
Et lorsque le scénariste décrit une action de son personnage, c'est au comédien d'en définir le mouvement, l'impulsion et la dynamique.


Libérons nous de ces mots vides de sens que sont "psychologie", "personnalité", ..., et attardons nous sur la vraie signification des choses, qui rappelle que les comédiens font partie de ceux qui donnent vie et consistance à l'œuvre finale. S'il existe de meilleurs interprètes que d'autres, c'est donc bien qu'il ne s'agit pas seulement de copie, d'un transfert de mots figés à un Être visuel et/ou sonore en mouvement, mais de la recréation d'un individu (vivant dans la fiction). N'ôtons pas la part d'investissement qui revient au comédien, les cinéastes l'ont bien compris depuis longtemps.

Présenter son projet

Il faut distinguer la présentation d'un projet et celle de ses écrits. La nuance en vient notamment à la communication, obligatoire, de la résolution de l'intrigue dans la présentation d'écrits, alors qu'il est un choix de transmettre cette information pour le cas d'un projet.

Mais pour faire connaitre son projet, que dire, et comment le dire ?

  « "Une bonne histoire" est un récit qui vaut la peine d'être raconté et que le monde désire entendre. C'est à vous de donner cet objectif. »
dixit Robert McKee
Story - contenu, structure, genre

Il y a différentes étapes pour exposer son projet : le propos, le synopsis, la note d'intention. Une triade louant au mieux vos ambitions scénaristiques et artistiques.


Le propos

Il est l'idée. La phrase de laquelle est partie le projet tout entier, la construction de l'histoire, de son univers.

Il n'y a pas de réelle méthode pour la rédiger. Elle est une phrase qui informe du sujet (cf A.J. Greimas, définition de l'actant), de l'objet et/ou de la mission, et éventuellement des protagoniste(s) et antagoniste(s).

Schéma Actanciel de A.J. Greimas

Le synopsis

À ne pas confondre avec le pitch, version orale et commerciale du synopsis, d'une moyenne de 1min30 ou 2min, pour s'attirer les bonnes grâces de finançeurs potentiels (lors des marchés notamment).

« Le synopsis est la forme la plus accomplie possible du résumé d'une histoire. »
Luc Dellisse

Il faut distinguer le synopsis commercial, réécrit pour la sortie de l'œuvre (très rarement rédigé par le scénariste quand il s'agit d'un film, c'est parfois aussi le cas pour la bande dessinée), et celui qui est l'œuvre de l'auteur de l'idée originale, destiné aux productions. 

Quelque soit le format de synopsis adopté, qu'il soit court (une demi page à une page) ou long (jusqu'à huit-dix pages)*, le synopsis fournit un certain nombre d'informations.
*excluons la continuité non-dialoguée (appelée treatment, maladroitement traduit par traitement)


Le synopsis, préférablement, fournira le propos, la situation de départ (son équilibre, fébrile ou non, démentelé), l'élément déclencheur (crises et incident déclencheur), les obstacles, le conflit, et éventuellement, la résolution. Il doit évoquer plus ou moins explicitement le thème et la proposition dramatique.

Un synopsis plus long fournira de plus amples informations, essentielles à la compréhension de l'intrigue principale, comme les évènements-clefs et les retournements. Par sa simple construction, il laissera percevoir l'évolution dramatique du protagoniste : ses faiblesses et/ou besoin, son désir, et sa progression dans l'intrigue. Et présentera son (ou ses) opposants notoires.


Quelque soit le format choisi, le synopsis est soumis à la loi de la vraisemblance. Une action improbable, par exemple produite par un personnage qu'aucune caractéristique ou rôle communiqué jusqu'alors ne prédestinait à tel acte, ne peut exister. Tout doit être connu dans un synopsis : comment le personnage se voyait devoir mener sa vie, quelle est la force qui le meut, quelle influence palpable ses choix et ses actes (sa Volonté) s'effectue sur les différentes péripéties.
Le synopsis fournit les lignes de forces, et notamment l'axe du vouloir (formule des trois axes : du vouloir, du pouvoir, du savoir, mettant respectueusement en relation le sujet et l'objet, adjuvants et opposants, destinateur et destinataire).


  « la nature du contenu que propose [le synopsis] est de l'ordre de la séquence [...] une unité narrative complète, au sein d'un ensemble plus grand qui est l'histoire toute entière. »
dixit Luc Dellisse
L'atelier du scénariste - vingt secrets de fabrication
Un bon synopsis est donc doté d'une continuité et d'un fil directeur, et reste sans fioriture ni forme romancé. Sa force vient aussi de sa facilité de lecture.


La note d'intention

Elle est le Je. Elle explique vos ambitions concernant votre scénario, et l'attachement que vous y portez. Elle rend compte de ce que vous souhaitez raconter, pourquoi vous voulez le raconter, et comment vous voulez le raconter.

Vous y développez l'origine de votre projet (en en profitant pour renseigner quelques aspects historiques ou poser votre décors, votre Cadre), ce que vous y avez injecté et que vous voulez qu'il en ressorte (ce qui fait écho à la proposition dramatique) pour créer un impact sur votre public. Vous expliquez aussi les enjeux esthétiques et l'originalité de vos idées et de la façon dont vous les développer au cours du récit.

Elle est donc la description des différents affects que devra produire le support final de votre œuvre, et que devra ressentir votre public.


La note d'intention est ce qui rend unique votre projet, ce qui le distingue des autres projets aux yeux des lecteurs de votre présentation. Elle explique ce qu'est votre projet, et non ce qu'il n'est pas (évitez les négations ou le simple commentaire de l'action). Elle reste indispensable pour faire percevoir votre projet dans sa forme finale sur son support final (qui peut être filmique, sonore, illustré, et que le simple scénario écrit ne rendrait pas compte).


Article associé : http://www.scenario-buzz.com/2010/01/04/comment-presenter-son-projet-le-synopsis-et-la-note-dintention/

Discussion avec Jean-Luc Saumade

Aujourd'hui, j'ai eu l'occasion d'aborder l'un de mes scénarios avec un scénariste, M. J-L. Saumade. Il s'agit d'un scénario filmique de court-métrage, dont le principal défaut (et je le sais d'autant plus que ça m'arrive à chaque fois) est d'être trop étoffé.


Je m'explique : j'ai une fâcheuse tendance à explorer consciencieusement mon univers.

Ce n'est pas un défaut en soi. C'est même d'ailleurs une qualité dont jouissent de nombreux scénaristes, et que les prétendants à ce titre (ou même les auteurs occasionnels) devraient chercher à acquérir. Plus précisément, j'aime être rigoureusement au courant des connaissances humaines (dans les domaines scientifiques notamment), ainsi que les évènements historiques attachées à l'époque dans lequel s'inscrit mon récit. Vient alors mon coté perfectionniste qui arrive au grand galop... et qui me fait monter un master de cent cinquante pages pour un petit projet sans prétention dont la finalité est 20minutes...


Car oui, le scénario est gâchis.
Jeunes auteurs en herbe, si vous en doutiez encore...


Si vous me permettez de vous présenter succinctement et non-professionnellement le projet, le voici :
Dans une France de la fin du XIXe siècle, à l'ère de l'industrialisation, où la biologie et l'assistance médicale robotique automatisée se développent de concert, la guerre contre la Prusse s'éternise. Claude, prothésiste et artisan d'automate, accueille dans son cabinet les infirmes, les amputés et les estropiés pour les greffer et tenter de les réintégrer dans la société, pendant que s'entassent dans les officines de fortune montées au cœur les petits villages les blessés et mourants. Son amour pour son métier et son code moral seront mis à l'épreuve par l'arrivée d'un homme : Ernst Wagner, désirant une prothèse.

Vous l'aurez peut-être remarqués, il s'agit là d'une uchronie, inspiré de l'univers steampunk vernien. Si notre ère est au minimalisme, celle de cette fiction est au maximalisme (et croyez-le ou non, mais il est bien plus complexe de construire une uchronie que de rester fidèle à l'Histoire). En effet, l'énergie à vapeur, les immenses rouages, les machineries en cuivre, ... toute la mécanique bien huilée est glorifiée. Et y sont associés des domaines, comme, exemple s'il en est, la médecine. 
Dans une telle période, la société est valorisée et l'individu dévalué ; la machine prédomine vis-à-vis d'un homme, singulier. La Science est le cheval de bataille de la Civilisation.

Vous comprendrez donc aisément la masse d'informations qu'il a fallut rigoureusement réunir pour dominer les sujets traités, à savoir : la médecine du XIXe (les traitements et instruments, les us et coutumes-croyances-remèdes), les connaissances anatomiques (notamment les réseau et systèmes nerveux et sanguins, la neurologie, les muscles et les greffes déjà pratiqués jusqu'alors), les métaux et alliances connus et manufacturés (avec leurs propriétés et leur utilisation), les détails historiques liés à la guerre Franco-prussienne, la machinerie de l'époque, etc.
Et les recherches ne se sont pas limitées au pré-19e siècle, mais aussi au 20e et 21e, puisqu'il s'agit d'une uchronie. Ainsi donc, il est question d'associer des découvertes post-19e siècle à des évènements historiques pré-19e siècle. Et fictionnaliser un peu tout ça, en y mêlant un peu de grain personnel à moudre.



La discussion qui a suivi avec J-L. Saumade a été fructueuse, d'un certain point de vue.

Bien évidemment, discuter d'un scénario le fait invariablement évoluer, que ce soit dans le fond, la forme, ou la vision que l'auteur a de l'une ou de l'autre. Le point nodal de notre discussion peut se résumer en deux choses :
- un récit trop complexe pour du film de 20 minutes,
- et un personnage principal complexe.
Et j'avouerai que ça m'a chagriné. Mes préoccupations étaient plus centrées sur le temps du récit et les analepses, l'univers vaporiste (steampunk si vous préférez), ainsi que l'évolution du protagoniste (ce dernier point que l'on a, heureusement, traité).

J'ai la fâcheuse tendance à penser que, même s'il faut rester dans les lois du vraisemblable et de la causalité, intrinsèquement liés par leur définition même, il est possible de proposer une déraison ponctuelle et brève (par exemple si elle entraine le remord, ou si elle était motivée par un sentiment fort comme la haine). J'ai aussi tendance à penser qu'un personnage peut agir en contradiction avec sa ligne de conduite le temps d'un dessein (si cela est justifié, bien entendu, mais pas forcément dans l'instant. On peut en connaitre la cause plus tard (car là, il est question de causalité)).
S'il nous est possible de proposer des fins ouvertes, il nous est aussi possible de proposer une fin générée par une action nous apparaissant, au premier abord, sinon imprévisible, aberrante. Ne prenons pas le public pour plus bête qu'il n'est (je sais, parfois, c'est dur), il est évident qu'il cherchera à comprendre les actions d'un personnage.

  « Car le but n’est pas de faire faire à votre héros des choses pour qu’on l’aime, mais bien pour qu’il nous intéresse, qu’il nous étonne. [...] Pour cela nous allons lui donner à faire des choses inattendues qui vont perturber la compréhension de nos spectateurs et les obliger à rester attentif. »
dixit Olivier MARTIN


L'être humain, dans sa mentalité, est complexe. Si tout personnage peut être basé sur un archétype, il est possible de lui donner de l'épaisseur. Je ne parle pas ici de fioriture, mais réellement d'une complexité "normale", d'une complexité évidente constitutive au statut d'Homme. Il arrive que la Raison soit dépassée par des sentiments, fut-ce une folie passagère (une facilité dans de nombreux cas, mais il peut en être autrement si c'est bien amené). Dans le cas présent de mon scénario, je vois ça comme un moyen de donner un autre souffle à la fiction, ainsi que différents niveaux d'interprétation. Des interprétations qui pourront toutes être valables, probables, qui seront des hypothèses mais jamais une vérité finie et définie.

Ainsi, l'action du protagoniste sera justifiable, mais gardera une part d'incertitude ou incompréhension, car c'est dans la nature humaine d'être parfois émulé par des pulsions indécises. Et un léger doute persistera toujours, et prolongera la vie du film après sa fin "cinématographique".


Et sur cette vision, je ne pense pas que J-L. Saumade soit hostile. En revanche, et il a été légitime de se concerter sur ce point, introduire cette volonté dans un court-métrage n'est-il pas de trop ? Est-il question d'étoffer ou d'étouffer ?

Dans un format assez court, qui limite la construction du personnage sur la durée, est-ce là approprié ? La question se pose encore à moi. Je regrette encore de ne pas avoir évoqué une volonté de ne pas faire éprouver de compassion pour le protagoniste, mais bon... Il m'a conseillé de creuser du coté du personnage antagoniste. Le rendre plus vindicatif, et lui donner une autre vision de la technologie. Qu'il voit dans la biomécanique un moyen de surpasser sa condition d'Homme dans un certain aspect, et d'atteindre une forme de perfection dans le domaine qu'il cible (la peinture). Et c'est dans cette construction que l'opposition humanité (protagoniste) / technologie (antagoniste) pourrait se faire.



Il faut faire des concessions. Sur un format aussi court, l'archétype semble inévitable pour les personnages secondaires. Et il n'est possible de détailler et développer dans la continuité dialoguée qu'un seul personnage (et très souvent, le personnage principal. C'est encore plus le cas si la focalisation est interne). Si je veux détailler le protagoniste, il faut placer l'antagoniste sur un paradigme, un modèle déjà bien exploré qui ne perdra pas trop de spectateur.


Je vais avouer quelque chose... une phrase m'a sensiblement affectée dans cette discussion :
« Tu vas devoir en enlever »  
Naturellement, c'est constitutif à la réécriture que d'enlever, de condenser, de suggérer, de faire abstraction et de passer sous silence. Mais quand c'est une personne autre que soi-même qui le dit... c'est douloureux à entendre...



Vous pouvez retrouver Jean-Luc Saumade sur http://www.lestudioduscenario.com/ pour voir son parcours professionnel et ses projets en cours.

Nouvel ajout - manque de temps

Ces temps-ci, les travaux personnels me rongent. Je dors peu, mange peu, et je trime. Rien d'exceptionnel direz-vous. Certes, mais à un cran au dessus ce mois-ci.

J'ai assez peu de temps à consacrer à ce blog dans la semaine qui vient, et cette semaine déjà entamée ne semble pas être bien partie... En attendant, j'en ai profité pour ajouter une nouvelle liste dans le menu vertical, celle des articles incontournables. C'est beaucoup dire, et sans doute très flatteur pour leurs auteurs, mais il s'avère que je ne vois pas l'intérêt de redonder un sujet qu'un tiers a déjà parfaitement traité (et d'autant plus si j'agrée à son traitement du sujet).

Quitte à ne pas écrire d'édito cette semaine, je tenterai de ne pas me soustraire à mes lectures habituelles et de les ajouter dans cette liste si cela m'avère utile. Les articles viendront des sites et blog donnés ci-contre, mais pas seulement. Des numéros des CdC y auraient parfaitement leur place, mais hélas, leur lecture est payante (tant sur papier que sur le site) pour les non-abonnés. Et je ne peux suggérer quiconque de payer, même par simple référence sans qu'elle soit encadrée par des arguments au sein d'un édito. Mais ponctuellement, on trouve de bonnes réflexions qui font leur chemin sur le net, et en donner le lien me semble intéressant pour tout le monde.


En espérant que la liste ne reste pas trop vide longtemps.

Mais à quoi ça sert ?

Le 5 et 6 Novembre se déroulaient, comme chaque année depuis 24ans maintenant, les Joutes du Téméraire à Nancy, auxquelles je participais et tenais un stand sur l'écriture de scénario dans le cadre de la fiction sonore. Et une nouvelle fois, l'on a pu faire le constat que beaucoup de gens avaient une certaine... aversion  envers les formules d'écriture.

Mon édito sur le modèle actanciel en faisait déjà allusion, mais pour reprendre sur de bonnes bases en ce mois de Novembre, j'aimerai m'attarder sur le sujet.



« Mais à quoi ça sert ? »
Voici l'une des phrases que l'on entend le plus souvent. Je ne vous cacherai pas que certains n'en sont plus à cette étape, mais à celle de l'affirmation :  « ça sert à rien », « c'est mécanique », « je m'en sors mieux sans », etc. L'une des réflexions les plus courantes est alors
Pourquoi viens-tu me voir ? Si tu ignores les réponses qui te sont données, pourquoi te renseignes-tu sur l'écriture de scénario ?  

Concédons le, je n'ai pas eu de dialogue de sourds. Mais ce n'est pas toujours le cas. Des gens fuient les formules d'écriture. Et je crois avoir une esquisse d'explication à cela : c'est très souvent parce qu'ils leur allouent un rôle qui n'est pas le leur. Par exemple de considérer les formules comme des techniques d'écriture. Or il est une erreur de penser qu'il en existe.
(ce n'est que mon avis, bien entendu, et ça n'engage personne)


Les petits "trucs" de scénaristes sont des aides, et non des manuels. Pour ne reprendre que le modèle actanciel, je ne connais pas d'auteur qui en ait dressé un au commencement de son scénario alors qu'il en cherchait encore le thème ou la proposition dramatique. Comme dit, il n'est qu'un outil d'analyse, soit pour l'étude d'une œuvre, soit en cas de tâtonnement si l'on ne sait plus comment faire avancer notre récit. On use des formules pour se sortir d'un manque d'inspiration temporaire, ou pour vérifier l'évolution dans l'intrigue de nos personnages – ou à l'inverse l'édification de l'intrigue par les personnages –, vérifier le vraisemblable, fuir le linéaire ou le stéréotype, etc.

Ce sont des outils de réflexion et non d'invention. Et en tant qu'outil, même spécialisés, si l'on les emploie mal, le résultat ne sera pas probant.



L'une des autres réactions que l'on rencontre souvent est celle-ci :
« J'ai peur que ça m'entrave, que ça me limite dans mon écriture »
Il peut en être ainsi si vous systématiser la formule. Dresser un tableau peut être dangereux dans le sens où l'on réduit les informations à leur essence. Et dans le cas où cette étape est mal effectuée, tout peut arriver si l'on est pas initié à l'outil, des catastrophes peuvent se produire. Et au lieu de rendre original ou étoffé son personnage, il peut passer du statut d'archétype à celui de stéréotype (et c'est grave si ce n'est pas souhaité !).

L'Art du scénario est de condenser. Transmettre à différentes échelles, à l'aide de différents supports (d'où le fait d'adapter son écriture en fonction de son format final). Les formules sont aussi là pour éviter l'éparpillement, de nous laisser emporter par notre imagination jusqu'à en perdre les rennes, et de diverger de notre thème et de notre proposition dramatique. Lors de notre écriture, beaucoup d'idées seront posées sur papier, et il faudra en faire le tri et l'agencement. En garder, et inévitablement, en laisser... Le danger est de trop diverger et de s'éloigner de son intrigue principale.


Il y a différentes écoles de pensée. Et l'on ne peut jeter l'opprobre sur aucune d'elles. Les outils s'adaptent, leur emploi ne varie que peu, et les conclusions qui découlent de leur utilisation change du tout au tout selon les scénarios de chacun, mais amènent à la même finalité : le constat et la réflexion. Et ils vont par deux. S'il en manque seul, ou même les deux, alors l'outil a mal (très mal, odieusement) été employé, et son apport est nul.


En conclusion, ce sont souvent les a priori qui faussent l'avis des gens sur les formules. Et si l'on peut très bien écrire sans en user, lorsque l'on débute (ou que le succès n'est pas au rendez-vous), il est plus que conseillé d'analyser ce qu'on écrit. Plus tard, vous pourrez refuser l'utilisation de telle ou telle formule, mais pour ce faire, il faut l'expérience. C'est-à-dire la force empirique. 

Le pacte de croyance

... ou suspension volontaire d'incrédulité.


On remarque la redondance d'une certaine interrogation chez les néophytes du scénario : la notion de "vérité". « Est-ce réaliste ? »
En réalité, la question est mal posée. Ce qui est écrit sera forcément réaliste au sein de son dispositif esthétique, induisant d'ailleurs un dogme temporel qui lui est propre dans lequel le public-cible se plonge si, et seulement si, et là est le fondement même de toute fiction qui terrorise tant ces débutants rongés par le doute, il y a acte de vraisemblance.

On peut a priori accoler cette notion à la capacité de voir la réalité en face, mais nions leur égalité. Car

  « ce qui importe dans le cas de la fiction, ce n’est pas de savoir si ses représentations ont ou n’ont pas une portée référentielle, mais d’adopter une posture intentionnelle dans laquelle la question de la référentialité ne compte pas. »
dixit Jean-Marie Schaeffer
De l’imagination à la fiction - CNRS

Le pacte de croyance induit la cohésion et unité d'un univers de fiction, qu'il soit basé sur des faits réels ou non. Il sous-entend la mise en place d'un référentiel normatif et d'une temporalité, structurant le récit dans sa continuité régit par principe de causalité. Si la logique peut ne pas être appliquée, le vraisemblable doit régner. L'exemple donné par Dominique Parent-Altier dans son ouvrage Approche du scénario me semble illustratif :

«  Par exemple, si un film nous présente une héroïne traversant une cave sombre qu'elle sait hanté par un inconnu, mais cela dans l'intention de retrouver son enfant, nous interprétons son geste comme vraisemblable car il découle d'une motivation que nous comprenons.
En revanche, si la même héroïne se précipite dans cette cave en dehors de toute cause acceptable par le spectateur, l'action ne sera plus vraisemblable. »  
Dans la citation ci-dessus, J-M. Schaeffer accompagne sa vision de la fiction narrative par un aspect ludique auquel le public va s'adonner, fiction induisant « une feintise ludique partagée ». Autrement dit, le public acceptera l'univers fictif, acceptera de se plonger dans l'imposture. Et cela vaut pour n'importe quel type de scénario, dans n'importe quel domaine (cinéma, théâtre, fiction sonore, bande dessinée, etc.)



Certes, je ne vous apprends rien... mais ce blog n'est pas vraiment à visée didactique. Il s'agirait plus d'une condensation de l'information, pas toujours exact, ni exhaustif, mais ça peut être voulu.



Le cinéma a intensément étudié le rapport qu'avait le spectateur vis-à-vis de la fiction, ainsi que les éléments qui les mettaient en lien. Il est ici d'ailleurs l'immense différence entre le cinéma et le théâtre (preuve en est aussi que le jeu d'acteur de cinéma et de comédien de théâtre est très différent) : le théâtre est jeu, le cinéma est – se veut impression de – réalité.
spectateurs de théâtre, mettez un palmier, nous sommes à Hawaï
spectateurs de cinéma, nous demandons plus.

Beaucoup de théories ont été avancées, d'entre elles sont encore effectives. Aux années 20, la notion d'attraction  telle que l'a décrit Eisenstein peut encore être considérée. Sous cette définition : « pression qui influe l'attention et l'intérêt du spectateur et influe sur ses émotions », on peut affirmer que l'idée d'élément captivant le public est vérifiée (à condition que la pacte de croyance soit établi, auquel cas contraire l'émulation ne fonctionne pas, ou peut même produire des effets différents de ceux projetés). En revanche, il a été démontré – par le montage, CQFD – que les attractions ne sont pas appréciables et interprétables de façon universelle, ce qui peut constituer leur faiblesse.

En effet, les cinéastes ont voulu, et veulent encore, découvrir les moyens de contrôler les émotions du spectateur de façon systématique, jusqu'à vouloir les rendre systémique. Peut-on dire qu'aujourd'hui, pour des Hommes nés au milieu d'une société emplie de cinéma, que ces moyens ont en parti été trouvés ?
Le cinéma moderne a su habilement laisser croire au spectateur qu'il voyait ce sur quoi son œil s'attardait alors qu'il ne s'attarde que sur ce qu'on a voulu qu'il s'attarde. Tout plan et ce qui le compose a été pensé et construit de toute pièce, rien n'est laissé au hasard. Ce qui permet aujourd'hui, dans la relation critique et esthétique, l'appréciation des formes.


La psychanalyse a beaucoup étudié le cinéma.
  • Le principe de réflexe conditionné de Ivan Pavlov, l'on peut déclencher des stimuli par émulation préalable (l'exemple le plus connu est sans doute celui du chien qui salive sans même présentation de la nourriture, mais parce qu'il est en proie au même stimulus qui a été associé à elle).
  • La réhabilitation de la théorie des foules venant du théâtre. Daniel Percheron identifiera différents rires, dont le rire critérium : tout le monde rie, il y a conditionnement et unité, les rires des autres amplifient le mien (voire le déclenche). Il y aura aussi le rire transgressif, qui est un mécanisme réflexe de prise de distance : le pacte de croyance est rompu, l'identification n'est pas établie
(note : ça explique pourquoi je ris tant dans le mauvais cinéma d'horreur...)
  • Carl G. Jung qui introduit la théorie d'une mémoire collective va aussi beaucoup inspirer les cinéastes. Baser les intrigues sur des mythes connus de tous pour de plus grands impacts (et c'est encore le cas actuellement, avec les américains qui nous ressortent toutes les mythologies grecques, romaines, mayas, etc.). C'est ce qu'appelle Dominique Parent-Altier la Tradition de la narration qui a fourni des « schemes » dont s'inspirent tous les récits.
    Des MacGuffin sont basés sur des mythes, dont les exemples les plus simples se situent dans la saga Indiana Jones (l'arche perdue, le saint Graal, les 13 crânes de cristal).

Par écho à la théorie des foules, Pascal Bonitzer (dans son système des émotions) parle d'émotion contagieuse, par l'identification réciproque des gens de la masse : mettre en scène des situations universelles que tout le monde aurait vécu pour influer sur l'ambiance de groupe, cette contagion durant tant que la relation identificatoire est effective.
Francis Vanoye parlait d'émotion-stress, instantanée, par des attractions spectaculaires (d'ailleurs, ça a été d'autant plus vrai avec le film-concert ("bain de sensation" → dolby et thx) et plus généralement le cinéma de foule post-moderne comme celui de Lucas et de Spielberg. Rendre le cinéma sensible).


D'ailleurs, n'est-ce pas sur cette relation empathique plutôt que pathétique que le cinéma devrait s'attarder ? Si la foule permet une émotion par contagion (et ensuite l'identification), le cinéma moderne tout entier, et une partie des cinéma post-moderne et contemporain fonctionnent sur la relation pathétique entre spectateur et personnage. Présenter l'histoire d'un personnage, seul ou groupe restreint, est une approche d'identification en premier lieu, par proximité, pour par la suite susciter de l'émotion.
Si dans le cinéma classique, l'histoire avançait l'émotion, aujourd'hui ce sont les personnages qui l'avancent. Ce n'est pas une mauvaise chose en soit. Seulement, la tendance du cinéma à être tout public, et classé familial pour un passage ultérieur à la télévision (c'est bien plus vrai en France qu'aux États-Unis), forcent les scénaristes à construire des personnages archétypes.
Certes, tout personnage part d'une idée, d'un mot, d'une ligne de conduite, ainsi que d'un "rôle" jugé archétype narratif (marâtre, ange gardien, chasseur, prince, etc.). Mais le développement du personnage l'en fait s'en éloigner pour que les conflits fassent apparaitre en lui ambiguïtés et complexité.
Or, pour une identification à la portée du plus grand nombre de gens possible, il faut des personnages phares dont la mentalité nous est révélée très rapidement. La simple utilisation d'acteurs vedettes pourraient permettre de réduire ce besoin de simplification ; or paradoxalement, à l'heure actuelle, elle l'amplifie. C'est regrettable...



Considérons néanmoins qu'aujourd'hui, les choses sont différentes. Le dispositif spectatoriel que définissait Christian Metz (son transfert perceptif), l'agencement-dispositif de la salle de cinéma (salle-écran-projecteur), et même le cinéma contemporain migratoire dont parlait Luc Vancheri (œuvres qui ont fait le trajet de la salle du musée, développant des installations vidéos par exemple, enfin tout ce qui n'est pas dans une salle de cinéma mais qui reste sur circuit d'exploitation professionnel), ne sont plus vraiment valables. Les lieux d'appréciation/consommation de ces œuvres ne se limitent plus au circuit d'exploitation professionnel. Aussi pourrait-on dédommager les productions actuelles de mettre en scène des intrigues simples et accrocheuses pour capter et conserver l'attention de leur public distrait et étranger à tout dispositif efficace d'appréciation.

Les plus ingénieux auront alors compris l'importance de l'interactivité que peut fournir les nouveaux médias, et notamment internet. Ne plus imposer sa progression dramatique, mais permettre au public, en qualité de personne singulière, de construire son propre récit par "morceau" et de passer du statut passif à celui d'actif. Sans présence, et donc attention, et acte du public : pas de progression. Autrement dit, des œuvres comme les P.O.M. (Petits Objets Multimédias) ou les fictions audios interactives arrivent à tirer parti (ou contre-carrer ?) cette sortie des circuits d'exploitation professionnels. Il en va de même pour le jeu vidéo qui multiplie les fins alternatives et les actions possibles au cours de la partie.


Où est passé le « spectateur idéal » de Roland Barthes ?


édition : je me permets l'ajout d'un petit lien après réflexion, qui parle aussi du sujet : http://denyscorel.over-blog.com/article-20444643.html

« Modèle » actanciel

Un petit préambule avant toute chose : pourquoi parler de formule d'écriture dans le libellé de ce message ?

Cela fait pas mal de temps que je fuis les "techniques d'écriture". Dans un domaine comme le scénario, il n'y en a pas selon moi.
Il n'y a pas de technique mécanique, de méthode miracle, donnant les clefs d'un scénario parfait, ou même bon. Ce qui existe, ce sont des formules, c'est-à-dire des procédés ordonnancés de telle sorte à participer à la création du dispositif du scénario, singulier. Ce dispositif est constitutif du référentiel et de l'univers propre à notre scénario. Entendons donc par formule des procédés, façons d'agir, qui aboutissent mécaniquement à des résultats sans finalité quant au fond de votre histoire. Les formules prennent une forme, un tenant similaire mais un contenu différent pour chaque œuvre. 

Par exemple, dans le présent propos de ce message qui met en avant le modèle actanciel, il faut y voir un matériau de construction, tel un plan ou du ciment. En soi, il ne vaut rien ; il n'est que constitutif au projet final. Autrement dit, tout comme l'on ne peut bâtir une maison avec trois types de ciments différents, il ne suffit pas uniquement de plusieurs formules d'écriture pour créer un excellent scénario. Elles ne sont présentes que pour le scénariste, en tant qu'aide pour la structuration de son récit, et désintéresse totalement les cibles et ou consommateurs (spectateurs, auditeurs, lecteurs, joueurs, ..., selon la forme finale que prendra votre scénario) de votre création. Ce n'est qu'un support de travail.



Le « modèle actanciel »

Il est un dispositif structurel, s'inspirant des théories de Vladimir PROPP, mis en place par le sémioticien A.J. GREIMAS en 1966 dans un ouvrage intitulé Sémantique structurale : recherche et méthode. Le modèle actanciel est notamment important pour les rapports de forces qu'il met en évidence entre les différents acteurs, qu'il nomme actants, du récit, ces rapports faisant évoluer – dans un objectif de progression plus ou moins marquée – narration, action, intrigue.

L'une des grandes idées développées est notoirement le statut de l'actant, pouvant être personnage, mais aussi sentiment, idée, idéologie, concept, etc. personnalisant l'impalpable en le mettant au même niveau d'existence qu'un être, exerçant une influence ou une emprise sur le personnage.



Six classes d'actants sont à l’œuvre dans le modèle actanciel :

- Le sujet

Il est personnage principal qui doit accomplir ou subir une « mission », mission de l'ordre de l'élimination (résolution ou non) d'un problème ou d'un besoin, nécessitant un acte de la part du sujet. Acte pouvant être volontaire ou involontaire, conscient ou inconscient.
- L'objet

Il est ce que convoite le sujet. Cet objet peut être matériel (argent, objet, lieu propriétaire, etc.) ou moins concret (amour, pouvoir, idéal, etc.). Par son acquisition se termine une mission.
- Le destinateur

Il est à l'origine de l'évolution du statut passif actif du sujet. Il peut être personnage (émetteur d'une quête ou détenteur d'une solution par exemple), souffrant lui aussi du problème ou ayant des intérêts à ce que le sujet n'en souffre plus, mais il peut être chose, idée, sentiment.
- Le destinataire

Aussi appelé récepteur ou bénéficiaire, il est personnage ou groupe de personnage qui profitera de l'élimination du problème. Ce peut-être le sujet lui-même, mais enrichi par l'acquisition de l'objet.
- Les adjuvants

Aussi appelés auxiliaires, personnages ou non, ils englobent tout ce qui vient au secours du sujet, de façon active ou passive, lui permettant en conséquence plus ou moins directe d'éliminer ledit problème, ou plutôt aidant le sujet dans son ambition d'acquérir l'objet.
- Les opposants

Ils englobent tout ce qui entrave l'acquisition de l'objet par le sujet, le diamétral opposé des adjuvants. Ils peuvent être personnage, hostile au sujet, à son objet, ou neutre, mais ils peuvent être moins concrets : sentiment, institution, lacunes constitutionnelles du sujet, etc.



GREIMAS met aussi en évidence l'existence de trois grands axes relationnels en fonction entre les différents actants du récit, et fait dans le même temps un schéma rapidement devenu célèbre et incontournable.

Schéma actanciel de A.J. GREIMAS


L'axe du vouloir mettant en relation le sujet et l'objet. Cette relation établie s'appelle jonction ; elle peut être conjonction si le sujet et objet sont conjoints (exemple : le prince désire la princesse) ou disjonction dans le cas contraire (exemple : un meurtrier réussit à se débarrasser du corps de sa victime).

L'axe du pouvoir mettant en relation adjuvants et opposants, les uns respectivement aidant à la jonction souhaitée entre sujet et objet, les autres y nuisant.

L'axe du savoir mettant en relation destinateur et destinataire, le premier réclamant que la jonction entre le sujet et l'objet soit établie, le second étant celui pour qui la mission est réalisée. On parle aussi de l'axe de la transmission (ou axe de la communication).



Le « modèle actanciel détaillé »

La force de la théorie de GREIMAS réside dans le fait qu'il y a autant de modèles que d'actions (réelles ou thématisée (action « imaginaire »)). De fait, chaque action peut être perçue d'un angle différent selon l'actant, multipliant encore davantage le nombre de formules. Il est de ces outils qui permettent d'analyser la cohérence d'un récit ainsi que sa construction.

\
Temps
Sujet observateur
Élément actant
Classe d'actant
Sous-classes

n

Temps de l'observation

Procède à l'intégration des éléments actants

Ce qui est actant

Sujet/objet/adjuvant/etc.
Factuel/possible, vrai/faux, actif/passif
« Modèle actanciel »


Temps de l'observation

Les classements sont aussi susceptibles de varier selon le temps de l'observation. Il existe divers temps et temporalités : le temps de l'histoire (ordre chronologique des événements), le temps du récit (ordre de présentation des événements), le temps tactique (enchaînement linéaire des unités sémantiques (d'une phrase à l'autre par exemple)). Il n'est pas rare de voir des adjuvants devenir opposants ou inversement, voire quitter le modèle actanciel.

Sujet observateur

La description actancielle doit tenir compte du sujet observateur qui procède à l'intégration des éléments actants dans les classes actancielles. Ce classement est généralement fait en prenant référence d'une vérité ultime du texte, souvent narrateur (surtout s'il est omniscient), mais il peut l'être d'observateurs – dits – assomptifs. Un personnage observateur croira, et peut-être à tort, que tel autre personnage est adjuvant pour telle action.
Syncrétisme actanciel
Un même élément peut se retrouver dans plusieurs classes actancielles.

« On appelle syncrétisme actanciel le fait qu'un même élément, appelé acteur (par exemple, un personnage au sens classique du mot), "contienne" plusieurs classes différentes ou de la même classe mais pour des actions distinguées dans l'analyse. »
dixit Louis HÉBERT
Modèle actanciel - Syncrétisme actanciel


Sous-classes d'actants
Il est des nuances à apporter à l'analyse et à l'intégration des actants dans leurs classes. En effet, tout personnage n'entrant pas dans la classe d'adjuvant, par exemple, n'est pas systématiquement un opposant. L'illustration d'un ami du sujet qui aurait pu et/ou dû aider et qui ne l'a pas fait ne sera pas considéré comme un opposant, mais comme un non-adjuvant. Plus précisément, il sera en premier lieu inclus dans les adjuvants possibles, puis – qui aurait du mais qui ne l'est pas devenu – passe en second lieu au statut des adjuvants factuels.

Un actant peut aussi se distinguer par son rapport actif/passif d'une action. Aussi peuvent se confondre des sous-classes comme : non-actant ; adjuvant possible non-avéré (possible mais qui ne devient pas factuel) ; opposant passif.

Cela peut correspondre par exemple à non-assistance à personne en danger.

Sur un autre plan, on pourra confondre adjuvant possible non-avéré et opposant actif, dans le cas où l'on porte atteinte à personne déjà en danger.


Dans un cas comme dans l'autre, il peut ne pas s'agir d'un personnage mais d'un appareil défaillant (exemple d'une alarme incendie qui ne sonne pas lors d'un feu) ou d'un animal (une personne qui se noie se fait, de surcroît, attaquer par un carnassier).

Tout actant personnage, dans le sens de créature pensante, pourra remplir consciemment ou non son rôle. D'un fait similaire, par un certaine nature d'être, un actant pourra être adjuvant partiel ou total.

« […] dire que le courage du prince est adjuvant pour sa propre cause est plus précis que de rapporter que le prince est globalement un adjuvant. »
dixit Louis HÉBERT
Modèle actanciel – Actants tout/partie

La propriété d'une œuvre intellectuelle

Pour que l'on puisse parler de plagiat, il faut donc parler de propriété spoilée. 

Depuis 1957 (pour le cinéma tout du moins, mais qui existait auparavant et sont applicables à tout Objet au moins intellectuel, sinon artistique) se sont mis en place deux droits :
  • le droit moral
  • le droit patrimonial

Le premier n'a pas de limite dans le temps, elle perdure après la mort de son auteur et personne ne peut le résorber. Il préconise le respect de l'œuvre et sa non-dégradation (mais à partir de quand la dégrade-t-on ?)


« le droit moral est la reconnaissance de cette dimension intimement personnelle et comparable à nulle autre qu'est notre investissement psychologique dans chacune de nos œuvres. »
dixit Alain Absire


Le second permet la rémunération de l'auteur (par l'intermédiaire de la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques – SACD – en France). Ce dernier peut le céder (contrairement au droit moral). Depuis 1997, les droits patrimoniaux sont reversés aux ayant-droits jusqu'à 70ans après la mort de l'auteur, après quoi il tombe dans le domaine libre.


Pourquoi ces mesures ? Au delà d'un aspect financier certain, le droit moral certifie l'unicité et l'authenticité d'une œuvre. Par sa qualité d'objet intellectuel singulier issue d'un travail créatif d'un Homme tout aussi singulier, le scénario (ou roman, ou essai, ou composition musicale, ou etc.) est la propriété de son Auteur. Le droit patrimonial oblige à ne pas dissocier l'œuvre du nom de son créateur, quelque soit sa notoriété, son origine, ou le nombre de copie. À ces deux lois peuvent s'ajouter le droit au respect de l'œuvre, qui oblige à la considérer comme unité ; c'est-à-dire à ne pas la tronquer, l'amputer, la mutiler de quelques façons que ce soit.
Une application au quotidien est le droit à la citation, qui nécessite des guillemets et le nom de son auteur.

L'un des grands avantages est la possibilité donnée à l'Auteur de se plaindre du bafouement de l'intégrité de son œuvre, sans qu'il ait à prouver qu'il y a une atteinte à son honneur ou à sa réputation.


Autre avantage de ces lois, elles permettent le droit à l'anonymat. L'Auteur peut donc se doter d'un pseudonyme sous lequel il publiera, même par l'intermédiaire d'un tiers (éditeur, distributeur, etc.), son objet intellectuel.


→ Ces droits s'appliquent dans les cas de coécriture ou de traduction.
(Peuvent être considérés comme coauteurs : l'auteur de l'œuvre originale, l'auteur de l'adaptation, le traducteur, le dialoguiste, l'auteur de la colorisation, le compositeur de la bande musicale (ainsi que l'auteur des paroles s'il y en a), le réalisateur/metteur en scène)



Mais d'autres lois peuvent rentrer en ligne de compte, comme celle du respect de la qualité. Il est le droit légitime d'associer, en plus du nom de son auteur, les distinctions (nominations, prix, etc.) à l'objet. Ce que l'on peut observer sur les boitiers d'œuvres filmique, ou la couverture de bandes dessinées ou de roman (mais qui est rarement oublié, car argument "d'autorité" si l'on peut dire, il encourage l'achat et les éditeurs-distributeurs le savent bien et n'oublient pas d'en informer le maketiste).

Enfin, à ces droits s'ajoutent celui de divulgation (droit légitime de porter à la connaissance du public l'œuvre) et de retrait (permettant la modification de l'œuvre même après divulgation ou de se réapproprier le droit patrimonial. Attention cependant si vous avez cédé les droits, il vous faudra dédommager le cessionnaire. C'est un droit extrêmement encadré).



L'avantage de cette loi de 1951 a été de considérer le scénario, pas œuvre finale en elle-même, soit la propriété d'un Homme. Et donc de considérer un texte performatif éphémère trouvant son apogée artistique dans un autre support comme déjà œuvre intellectuelle impérissable.


« Le scénario, c'est une structure destinée à s'abolir dans une autre structure. »
Pier Paolo Pazzolini

Si le scénario a différents lecteurs dans le processus de création de l'œuvre finale, il n'est pas destiné à être lu par un spectateur λ. Du scénario de bande dessinée à la partition d'une musique, il est une série d'ordres visant à être exécutés. « Comme le morceau de sucre dans le café  » (Jean-Claude Carrière), il se dissout et gagne toute sa substance et lot d'affects dans son support final.

Article associé : http://alexander.faure-scenariste.over-blog.com/

C'est "mon" scénario !

Tout à fait par hasard, je suis retombé sur quelques articles (un premier donnant lien à tous les autres) sur l'affaire de Sophia Stewart. Outre les différentes polémiques qui en sont ressortis canonnant paranoïa, mythomanie, manipulation/mutisme des médias, les vrais sujets de départ était finalement le plagiat et la protection de ses écrits.

→ À qui appartient le scénario ? Quelles sont les concessions qu'il faut accepter sans rechigner ?




C'est là qu'on observe les réelles différences de statut entre les scénarios de bandes dessinées, de films, de pièce de théâtre ou autre. Pour aller plus loin, on pourrait même dire avec légèreté qu'il y a deux classifications qui se mettent en place : le scénario de cinéma contre tous les autres.

Dans le cas d'un scénario de pièce de théâtre, il n'y a que la mise en scène et le jeu des acteurs qui peuvent la faire sensiblement varier d'une représentation à l'autre : on peut actualiser les costumes pour rendre davantage l'impact sur les spectateurs plutôt que se conformer aux codes vestimentaires de l'époque dans laquelle s'inscrit l'œuvre. On peut faire varier la composition et disposition des lieux, les dominantes de couleurs, les accessoires. Les acteurs feront vivre leur personnage en mettant en avant l'une ou l'autre de ses particularités mentales (éloignons nous du mythe de la psychologie de personnage, car elle imposerait une unique représentation du personnage, quelque soit le comédien qui l'incarne. Évoquons l'idée de mentalité du personnage, avec une certaine façon de penser, mais moultes conclusions à un problème et manifestations – tant physiques que de ton ou de comportement – de ces dernières) d'où les différents Sganarelle ou Dom Juan qui ont une certaine continuité dramatique mais des conflits moraux nuancés.

Pour en venir au fait que si la mise en scène diffère, les textes de départ restent base de travail. Il arrive que les dialogues soient revus et corrigés pour coller à une époque, ou un niveau de langue ; il est déjà plus rare qu'une pièce écrite en vers soit transposée en prose. Si les dialogues sont modifiés, ils suivent une continuité dramatique et une progression dans l'intrigue balisée par une délimitation en actes et composition en scènes.

Dans le cas d'un scénario de bande dessinée, il se produit un phénomène relativement similaire, outre que dans une pièce de théâtre, le metteur en scène ne travaille pas forcément en accointances avec le dramaturge (il est à regretter que les Molière, les Racine, les Corneille et De Vigny ne soient plus en vie pour discuter de mise en scène moderne de leurs pièces). Il change dans des possibles choix de dessinateurs le style graphique, les compositions en vignettes, etc. S'il se peut que le dessinateur soit aussi le scénariste, il est tout du moins l'un des auteurs de l'œuvre finale. Pas uniquement par les affects produits par ses dessins, mais aussi parce qu'il travail de concert avec le scénariste, modifiant de concert les répliques, les tics et mouvements et attitudes physique trahissant le comportement de chaque personnage, ou encore  le découpage en vignette pour permettre par exemple la mise en place de cliffhanger en chaque bas de page pour donner envie de passer à la suivante.
On peut donc dire sans se tromper que la bande dessinée s'apparente à une réelle co-écriture, ou pour le moins à un agencement du travail du scénariste par le dessinateur. (j'omets l'intervention du coloriste qui travaille lui aussi au rendu stylistique de la bande dessinée, mais qui effleure déjà moins la composition scénaristique)

Le jeu vidéo quant à lui est régit en partie par les mêmes termes de la relation scénariste-designer. Bien que sa propension d'inclure le "spectateur" comme participant de l'œuvre donne une autre dimension au travail d'écriture, en prenant en compte la progression, non pas de, mais dans l'intrigue d'un ou de protagoniste, en prenant en compte les limitations d'action et d'initiative du personnage de jeu vidéo dans son environnement. Du même fait, user de cinématiques pour suspendre la capacité d'action du spectateur-joueur dans l'évolution de l'intrigue (bien que l'interactivité est grandissante aujourd'hui, permettant un plus grand nombre d'action ou des modifications de l'intrigue en fonction des choix du joueur durant les périodes de dialogues, ou bien les actions effectuées, les quêtes secondaires effectuées ou les personnages ou objets acquis – ou rencontrés) correspond aussi à une certaine écriture et certaine ambition.

Dans le cas de la fiction sonore (radiohonique par exemple, mais pas uniquement), la composition de l'espace sonore, par les ambiances, les bruitages, les musiques, les jeux d'acteur des comédiens, le rythme, et la griffe du mixeur (manipulation de l'objet sonore créant le style), donne une dimension autre que celle du support papier. Il en reste néanmoins un travail en collaboration entre le scénariste et le mixeur. Ainsi, le ton de l'intrigue peut légèrement varier face à son support papier original, mais il subsiste une certaine fidélité vis-à-vis de l'œuvre originale.

Voyons le port-folio, ou P.O.M. comme on l'appelle aujourd'hui, comme un mélange du cas de la fiction sonore et de la bande dessinée.


Bref, dans tous ces cas de figure, l'écriture de ces scénarios est spécifique. Passer d'un support final à l'autre nécessite une réécriture sur le support papier initial. Du même fait des qualités du support final, il y a lors du processus d'écriture initiale une prise en considération des "limitations" de mise en scène, qui peut être technique d'une part, ou technologique d'autre part.
Pour ce qui est du point de vue de la paternité, on peut légitimement dire que les deux classes d'intervenants : le père de l'idée originale et auteur de la première écriture, et le conseiller du support final (dessinateur, ou designer graphiste, ou mixeur, ou monteur, etc.) et (co-)auteur des versions ultérieures (et notamment de la finale) du scénario.


Maintenant, considérons le cas du scénario de cinéma.

Premier souci : d'un pays à l'autre, quelques changements s'effectuent. Si la standardisation permet d'avoir des codes d'écriture qui restent extrêmement similaires d'un pays à l'autre, voire rigoureusement identique, c'est le processus de mise en image qui change notoirement. Contrairement à la France, les États-Unis ont mis en place un système de re-writing, plaçant parfois sur un scénario un bon nombre de scénaristes qui écriront ou participeront à l'écriture d'un ou de plusieurs versions du scénario (certains films allant parfois jusqu'à avoir subit une cinquantaine de réécriture avant tournage, voire même pendant tournage). La mise en place de script doctors, encourageant un formatage dans l'écriture, rajoute encore des réécritures et des noms à créditer sur une œuvre au départ appartenant à un seul Homme (ou deux).

Viens ensuite – à force de temps (et de chance) – la réalisation, qui apporte elle aussi son lot d'arias pour l'auteur originel. Prônant aujourd'hui (ce qui ne fut pas le cas pendant près de 80-100ans, sauf exceptions) sa qualité de création communautaire, le cinéma rajoute nombre d'intervenant dans le processus de mise en image.

Une chose est sûre : ce n'est pas discutable. Que d'orfèvres chez les directeurs de la photographies, que de génies chez les chefs-opérateurs cadre (et son, mais comme d'habitude, on s'en balance... c'est vraiment honteux) et les réalisateurs, quelle griffe chez les monteurs (surtout chez les mixeurs si vous voulez mon avis, parce que de nombreux monteurs ne font que suivre les propositions de leur réa... mais bon, je me répète), et que de talent chez certains dialoguistes !


Mais voilà qu'on en oublierait presque le scénariste dans cette histoire. Parce que si les plus reconnus jouissent de leur renommée – à moins que le réalisateur ne rencontre son scénariste pour œuvrer avec lui jusqu'au bout de la chaine de réalisation  – pour assister au tournage, et même parvenir jusqu'à la salle de montage pour exposer leur avis (reste à savoir s'il est pris en compte), il en reste de nombreux qui attendent sur le banc de touche. Se rongeant les ongles jusqu'au sang, ils attendent la projection pour constater, et uniquement constater, la réussite ou l'échec – à ne pas confondre avec fidélité et bafouement – du projet.


Les questions qu'on a pu se poser, et que certains se posent encore, sont :
  • l'argent considérable en jeu détache-t-il le cinéma des autres formes d'expressions scénarisées ?,
  • le nombre d'intervenants et de participants dans le processus de réalisation dépersonnalise-t-il le film de cinéma vis-à-vis de ses auteurs ?,
  • ou encore peut-on qualifier, ou même quantifier, l'intervention du nombre de personne participant à l'œuvre finale quant à son aspect esthétique ou artistique, et l'impact sur celle de départ (écrite) ?

Ce passage sous silence aujourd'hui des scénaristes au profit des réalisateurs est-il l'œuvre d'une ingratitude, ou la résultante d'une industrialisation ? Que sont les réalisateurs face à la nuée de scénaristes qui assaillent les studios de leur scénarios dont on attribuera la réécriture à d'autres scénaristes que l'on dit "confirmés" parce qu'ils ont l'avantage de l'antériorité et qu'ils ont compris la logique commerciale de leurs financiers potentiels ?

« Cher Frank, exerce donc ta fameuse "touch" sur ceci » dixit Robert Riskin sur la page de garde de 120 pages blanches qu'il envoya à Franc Capra adulé par la critique.

Auteur de "son" œuvre

Ingratitude consentie qu'est cette profession : scénariste.


Depuis la Nouvelle Vague, les scénaristes sont mis sous sourdine. Le plus étonnant est qu'on eu fait trôner, et c'est encore le cas aujourd'hui, François Truffaut à la tête de ce mouvement (qui aujourd'hui constitue la norme contre laquelle se dressent les autres mouvements) : le réalisateur est auteur du film (loi 1957).

À cette idée s'est additionnée depuis (loi de 1985) quelques techniciens (notamment le monteur passé auteur, ce qui constitue une injustice totale face au mixeur qui ne l'est pas encore, alors que la part de création est infiniment plus grande (mais comme d'habitude, par respect de l'historique il faut croire, le son passe après l'image) dans la mise en place de l'espace/du champ sonore), et les nombreuses quelques (rares ?) insurrections des scénaristes quant à la revalorisation de leur statut leur a, au moins, permis de toucher 93% des droits d'exploitation de leur œuvre vis-à-vis de la SACD en France.

Maintenant, demandons-nous pourquoi Truffaut. Car, si dans son article du 31e numéro des CahiersduCinéma de Janvier 1954, il invectif l'oligopole détenu notamment par le tandem Aurenche-Bost, et plus précisément quant aux libertés qui sont prises lors d'adaptations dites « honnêtes » ou « fidèles » alors que les faits sont moins catégoriques ; ou encore à la redondance de modèles de personnages et d'intrigues ; il ne condamne pas la légitimité d'« auteurisme » des scénaristes vis-à-vis de leurs œuvres. Bien plutôt il est question du statut et des mérites de feux, les metteurs en scène, devenus réalisateurs.

« Et puis l’indiscutable évolution du cinéma français n’est-elle pas due essentiellement au  renouvellement des scénaristes et des sujets, à l’audace prise vis-à-vis des chefs-d’œuvre, à la confiance, enfin, faite au public d’être sensible à des sujets généralement qualifiés de difficiles ? »
dixit François TRUFFAUT
CahiersduCinéma, n°31

C'est contre l'affirmation « Inventer sans trahir » que prônent – entre autres – Aurenche et Bost que le critique de l'époque s'insurge. La grande richesse littéraire dont s'est dotée la France au fil de nombreux siècles a donné lieu au phénomène d'adaptation, tandis que d'autres préférèrent l'original, qui ne fut juridiquement (et moralement ?) borné que tardivement. Aussi, des libertés "eurent" lieu. Peut-être est-ce que la notion de talent avait été confondu à celle de notoriété, ou de popularité ? Aussi devenait-il pressant de freiner les prises de libertés et réfréner les ardeurs des scénaristes. Seulement, les années qui ont suivi leur ont drastiquement coupé l'herbe sous les pieds. Ainsi ont assit, et ce sur un trône de marbre infrangible, l'évidence de leur intervention créatrice et artistique qui feront d'eux des Auteurs, les réalisateurs. Et cela en montrant le scénariste, dans sa qualité d'uniquement (seulement ?) scénariste, comme non-indispensable, non vitale, non nécessaire dans la processus de création cinématographique.

Ainsi, pendant que d'autres storybordaient, scriptaient et découpaient leurs scénarios, la Nouvelle Vague mit en exergue l'Auteur-Réalisateur, dont ce ne fut plus les intrigues qui devinrent redondantes, mais les cadrages. Glorieuse évolution. Un bien (?) pour un mal (!).

note : quand on sait qu'une fois passé réalisateur, Truffaut ne scénarisera que son premier film et laissera l'écriture des autres à des scénaristes, on peut légitimement trouver ça cocasse.


Si aujourd'hui il est vrai que l'on formate le scénario et ses modèles pour convenir aux producteurs, et investisseurs, il en était déjà le cas auparavant. À cette phrase : « l'influence d'Aurenche et Bost est immense... », je ne vois que l'évidence que l'on est fils de son Temps d'une part, et d'autre part que les recettes qui fonctionnent, les intervenants commerciaux de la chaine cinématographique les réutilisent jusqu'à plus soif, jusqu'à les vider de leur substance productrice d'affects. L'éclectisme du spectateur lui a été ôté pour faire appel à "ses" préjugés, "ses" pré-avis, qui ne sont rien d'autre qu'une sollicitation à un intellect collectif inconscient bâtit sur des modèles ancestraux (mythes, ...) ou construit par les institutions (socialisations primaire et secondaire, religions, ...).

Qu'est-ce que nous déchantons face aux belles promesses de la Nouvelle Vague, que nous pleurons l'heureux temps des scénaristes. Car qu'a-t-il été changé depuis cette lapidation truffautienne du réalisme psychologique ? Ne vidons nous pas l'essence des belles phrases en les ressassant, remâchant, re-writtant ? Ne massacrons-nous pas encore des œuvres en les adaptant pour tout public, laissant l'intrigue pâteuse à l'abominable fadeur, sans parti pris aucun ? Ne reprenons-nous pas aujourd'hui les mythes et légendes pour les adapter mille fois ?

« Aussi, des libertés "eurent" lieu. »
Faux ! Rien n'a jamais été autant d'actualité !



Il faudrait voir le scénariste comme auteur de leur œuvre. Le cinéma est un art communautaire. Pas seulement parce qu'apportent leur griffe les techniciens, réalisateur, etc. mais parce que la dimension d'industrie a de plus en plus cruellement tendance à user des succès, eux-même basés sur d'autres en reflétant l'inconscient collectif, comme calque des prochains à venir.
Si le cinéma d'Auteur tend à imposer un clivage face à cette dimension industrielle, seuls les orfèvres, tant cinéastes que scénaristes, s'extirpent des conventions et parviennent à marcher en dehors des clous.

Bibliographie

S'il y a bien quelque chose que les jeunes scénaristes, les aspirants, les néophytes et les curieux (on peut espérer) ont pu remarquer, c'est la liste d'ouvrages impressionnante concernant l'écriture de scénarios. Pour ma part, je peux vous dresser celle qui trône ou tend à trôner dans des délais que j'aimerais brefs, dans ma bibliothèque :
(note : ne voulant pas mettre en avant un éditeur plutôt qu'un autre, je n'ai pas mentionné les maisons d'édition)

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Akers, W. - Votre scénario est bon pour la poubelle : 100 pistes pour le rendre formidable 
Baudouin, B - Comment écrire votre premier scénario : Toutes les étapes pour mettre votre histoire en images 
Biro, Y./Ripeau, M.G. -  Direction scénario, exercices d'imagination 
Blakeston O - Comment faire un scenario
Bloch, J./Fadiman, W./Peyser, L. -  Manuel du scénario américain 
Briselance, M-F. - Leçons de scénario, Les 36 situations dramatiques 
Carrière, J-C. -  Le film qu'on ne voit pas 
Carrière, J-C./Bonitzer, P. - Exercice du scénario 
Chion, M. - Écrire son scénario, édition définitive 
Cucca, A. - L'écriture du scénario 
Dellisse, L. - L'Atelier du scénariste : 20 secrets de fabrication 
Duc, B. -  La pratique du scénario, cinéma, télévision, bd 
Field, S. - Scénario, les bases de l'écriture scénaristique 
Hitchcock, A./Truffaut, F.  - ........ Et, bien sûr   
Huet, A. - Le scénario
Jenn, P. - Techniques du scénario
Lainé, J-M./Delzant, S. - L'écriture du scénario   
Lavandier, Y. - La dramaturgie 
Léon-Garcia, M. - Écrire son scénario, Manuel pratique 
Maillot, P. -  L'écriture cinématographique 
McKee, R. - Story : contenu, structure, genre - Les principes de l'écriture d'un scénario 
Pasquier, D. -  Les scénaristes et la télévision 
Parent-Altier, D. - Approche du scénario
Perret, P./Barataud, R -  Savoir rédiger et présenter son scénario 
Roche, A./Taranger, M. - L'atelier de scénario, élément d'analyse filmique   
Roth, J-M. - L'écriture de scénarios
Salé, C. -  Les scénaristes au travail 
Seger, L. - Faire d'un bon scénario un scénario formidable 
Selinger, V.C./Timbal-Duclaux, L./Bouadjio, V. - Les Secrets du scénario : Cinéma et B.D. 
Sidi, R. - Savoir optimiser un scénario 
Siety, E. -  Le plan - Le son - Le scénario - Etc... 
Snyder, B. - Les règles élémentaires pour l'écriture d'un scénario   
Török, J-P. - Le scénario   
Trémège, B. - Le livre de scénario 
Truby, J. - L'anatomie du scénario. Cinéma, littérature, série télé 
Vanoye, F. - Scénarios modèles, modèles de scénarios 
Vanoye, F. - Récit écrit, récit filmique 
Vogler, C. -  Le guide du scénariste 
Von Trier, L. - Scénario

Scénario, mode d'emploi (petit guide de la revue Synopsis 1999)
Amélie Vermeesh (Poétique n°138, Avril 2004) - La poétique du scénario
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Autant souligner dès maintenant la petite fortune que tous ces bouquins représentent (ça fait quoi ? Entre 1 000 et 2 000 € ? À vue de nez). Et à ces ouvrages vont s'en additionner d'autres, dont je n'ai pas encore connaissance, que je n'ai pas encore prévu d'acheter dans l'immédiat (les livres ciblés dramaturgie, poétique, construction de personnage, etc.) ou qui vont sortir après la publication de cet édito.
Et maintenant, quand on pense qu'à coté de cette bibliographie sur le scénario, il y en a une sur le cinéma, et une autre sur le son, (et puis une autre sur les autres lectures, notamment le roman de SF et de Fantasy)... on pleure toutes les larmes de son corps au vu de la dépense gigantesque que nos passions ont engendré.



Plus sérieusement, la plupart de ces livres, outre le temps incroyable qu'ils réclament pour être lu, sont des plus intéressants. Non pas parce que je suis d'accord avec tous. Si j'agrée John Truby concernant les intrigues de genres ou les erreurs temporelles, je fulmine face à ses 22 points clefs qui ne sont qu'un carcan plaçant le scénario sur une silhouette pré-construite, témoignant ainsi d'un modèle fonctionnel (ayant fait ses preuves, n'en doutons point) mais pas d'un apprentissage pédagogique. Sur ce point, ce n'est donc qu'un manuel de recette et d'acceptation pour des producteurs potentiels dans le cadre d'un scénario de cinéma.

De la même façon, si Dominique Parent-Altier soulève de nombreuses constructions de conflits possibles qui me semblent des plus cohérentes et logiques, et par ailleurs très instructives ; ainsi que sur la vision qu'il porte sur le scénariste et son œuvre (♥), son approche systématique de construction de l'intrigue et du personnage (ou encore dans sa réutilisation des Trois Actes) s'éloigne du courant non-liberticide d'écriture dans lequel je m'inclue.

Évidemment, je parle là des ouvrages et non des auteurs eux-mêmes, bien que je donne leur nom au lieu d'un titre de livre. Si la théorie appartient à l'auteur, elle ne le résume pas. Un raccourci qui est facile à faire (et trop souvent fait, d'ailleurs). 



S'il y a bien une chose qui me fait peur, c'est la déviation qui s'est en partie effectuée dans la recherche et la théorisation de l'écriture scénaristique (dans quelque domaine que ce soit, mais surtout et notamment dans l'écriture cinématographique). Si la volonté source était de théoriser les processus d'écriture d'un scénario, la vision unilatérale à œillères des américains a fait pencher la balance vers une théorisation de méthodes d'écriture de scénario. Et le problème est que chacun donne son avis, propre, sur une façon de faire (pour pas dire "sa" façon de faire, jusqu'à même créer des écoles pour la professer) et dont le seul et unique but est de remplir un cahier des charges.
Pour faire simple : écrivez de sorte à satisfaire les producteurs.

Ce, évidemment, afin qu'ils acceptent de mettre un réalisateur dessus pour le mettre en image, et que le succès soit suffisant pour rembourser les partenaires et investisseurs. Et je vous parle pas du parti prit de faire du tout public pour attirer les foules et permettre la rediffusion à la télévision.


Si des gens comme von Goethe, Carlo Gozzi, Gérard de Nerval, Jean-Marie Roth, Ronald Tobias ou Georges Polti (et bien d'autres), dans des théories comme les 36 situations dramatiques, les 13 axes dramatiques, les 20 types d'intrigues, la 30aine de situations tragiques et j'en passe, ont cherché à quantifier les histoires possibles (dans l'objectif de... savoir faire une raclette... avec du jambon................ non, l'intérêt me semble encore obscure pour tout vous dire), les films de producteurs ont provoqué la recherche des modèles les plus rentables.
Je veux bien comprendre la logique de vouloir compenser les dépenses, notre vie contemporaine est basée sur la rentabilisation (et pas uniquement financière. La plupart de nos actes ont pour but espoir une contrepartie à la hauteur de l'effort et investissement). Mais dresser des tableaux de prévision pour calculer ses marges et établir le nombre de millions qui leur rentrent dans les fouilles, c'est quand même s'éloigner du postulat artistique de base qui est de transmettre un message et de laisser un témoignage profondément ancré dans son Temps et son Espace (enfin bref, ne rentrons pas dans une polémique qui sévit depuis un Âge).


La seule chose à noter est (peut-être) une relation moins conflictuelle entre les différents théoriciens. Il est possible que ce ne soit qu'une impression... mais malgré la divergence parfois diamétrale des avis et argumentations, ils sont capables d'estimer leur détracteur et dissidant, et de respecter sa personne s'ils ne peuvent respecter son avis.



En bref, il faut prendre avec des pincettes ce qui nous est parfois annoncé tautologique, et explorer les diverses théories qui existent. Mais cela coûtent de l'argent, et des maisons d'édition l'ont bien compris.

Bienvenus à vous

Bienvenus à vous, internautes. Bienvenus sur scénarios de Scénariste.

Vous en conviendrez aussi, le titre n'est pas des plus originaux, mais il a au moins pour qualité d'être explicite. Ce blog aura différents sujets-thèmes :
  • la condition et le statut du scénariste (notamment en France mais aussi au delà),
  • les différentes techniques d'écriture du scénario ainsi que le commerce qui l'entoure,
  • l'évolution de la forme du scénario et sa nature propre qui en font un objet unique,
  • les syndicats qui se sont mis en place pour défendre les scénaristes, et le simili-lobbying qui tend à en résulter.

D'autres sujets, sans doute, seront abordés ; ce de manière ponctuelle ou qui tendront à se rajouter à cette petite liste qui aideront à la rendre exhaustive. Il est évident que mes avis n'engageront personne d'autre que moi, à propos des lectures, des critiques, éventuellement des conseils... Néanmoins, si certains messages auront pour essence une subjectivité affichée, je n'en fais pas le postulat de ce blog. Sans parler d'impartialité, il s'agit d'être assez objectif, ce qui affermie notamment la définition du terme critique : relever les mauvais points autant que les bons, notifier les évolutions techniques et artistiques, rapporter la cible de la critique à son Temps.

Tiens, d'ailleurs : profitant de ce premier message, je précise que je soulignerai la qualité du terme scénariste que j'emploierai, comme étant celui de cinéma, ou de bande dessinée (les deux « familles » de scénaristes les plus connues), mais parfois aussi de théâtre, de fiction sonore, de jeu vidéo, etc. Car il existe de nombreux scénaristes (il en existe même pour les campagnes politiques, les prévisions marketing... mais vous m'excuserez si j'omets volontairement ces « classes »  ci).


Vous avez déjà une petite liste de blogs et sites dont les thèmes sont proches de ceux traités ici, bien plus intéressants  :D. Je vous encourage à aller y faire un tour, et, pourquoi pas, les fréquenter assidument si l'envie vous en prend.

Sur ce, bonne navigation et bonne lecture.