Le pacte de croyance

... ou suspension volontaire d'incrédulité.


On remarque la redondance d'une certaine interrogation chez les néophytes du scénario : la notion de "vérité". « Est-ce réaliste ? »
En réalité, la question est mal posée. Ce qui est écrit sera forcément réaliste au sein de son dispositif esthétique, induisant d'ailleurs un dogme temporel qui lui est propre dans lequel le public-cible se plonge si, et seulement si, et là est le fondement même de toute fiction qui terrorise tant ces débutants rongés par le doute, il y a acte de vraisemblance.

On peut a priori accoler cette notion à la capacité de voir la réalité en face, mais nions leur égalité. Car

  « ce qui importe dans le cas de la fiction, ce n’est pas de savoir si ses représentations ont ou n’ont pas une portée référentielle, mais d’adopter une posture intentionnelle dans laquelle la question de la référentialité ne compte pas. »
dixit Jean-Marie Schaeffer
De l’imagination à la fiction - CNRS

Le pacte de croyance induit la cohésion et unité d'un univers de fiction, qu'il soit basé sur des faits réels ou non. Il sous-entend la mise en place d'un référentiel normatif et d'une temporalité, structurant le récit dans sa continuité régit par principe de causalité. Si la logique peut ne pas être appliquée, le vraisemblable doit régner. L'exemple donné par Dominique Parent-Altier dans son ouvrage Approche du scénario me semble illustratif :

«  Par exemple, si un film nous présente une héroïne traversant une cave sombre qu'elle sait hanté par un inconnu, mais cela dans l'intention de retrouver son enfant, nous interprétons son geste comme vraisemblable car il découle d'une motivation que nous comprenons.
En revanche, si la même héroïne se précipite dans cette cave en dehors de toute cause acceptable par le spectateur, l'action ne sera plus vraisemblable. »  
Dans la citation ci-dessus, J-M. Schaeffer accompagne sa vision de la fiction narrative par un aspect ludique auquel le public va s'adonner, fiction induisant « une feintise ludique partagée ». Autrement dit, le public acceptera l'univers fictif, acceptera de se plonger dans l'imposture. Et cela vaut pour n'importe quel type de scénario, dans n'importe quel domaine (cinéma, théâtre, fiction sonore, bande dessinée, etc.)



Certes, je ne vous apprends rien... mais ce blog n'est pas vraiment à visée didactique. Il s'agirait plus d'une condensation de l'information, pas toujours exact, ni exhaustif, mais ça peut être voulu.



Le cinéma a intensément étudié le rapport qu'avait le spectateur vis-à-vis de la fiction, ainsi que les éléments qui les mettaient en lien. Il est ici d'ailleurs l'immense différence entre le cinéma et le théâtre (preuve en est aussi que le jeu d'acteur de cinéma et de comédien de théâtre est très différent) : le théâtre est jeu, le cinéma est – se veut impression de – réalité.
spectateurs de théâtre, mettez un palmier, nous sommes à Hawaï
spectateurs de cinéma, nous demandons plus.

Beaucoup de théories ont été avancées, d'entre elles sont encore effectives. Aux années 20, la notion d'attraction  telle que l'a décrit Eisenstein peut encore être considérée. Sous cette définition : « pression qui influe l'attention et l'intérêt du spectateur et influe sur ses émotions », on peut affirmer que l'idée d'élément captivant le public est vérifiée (à condition que la pacte de croyance soit établi, auquel cas contraire l'émulation ne fonctionne pas, ou peut même produire des effets différents de ceux projetés). En revanche, il a été démontré – par le montage, CQFD – que les attractions ne sont pas appréciables et interprétables de façon universelle, ce qui peut constituer leur faiblesse.

En effet, les cinéastes ont voulu, et veulent encore, découvrir les moyens de contrôler les émotions du spectateur de façon systématique, jusqu'à vouloir les rendre systémique. Peut-on dire qu'aujourd'hui, pour des Hommes nés au milieu d'une société emplie de cinéma, que ces moyens ont en parti été trouvés ?
Le cinéma moderne a su habilement laisser croire au spectateur qu'il voyait ce sur quoi son œil s'attardait alors qu'il ne s'attarde que sur ce qu'on a voulu qu'il s'attarde. Tout plan et ce qui le compose a été pensé et construit de toute pièce, rien n'est laissé au hasard. Ce qui permet aujourd'hui, dans la relation critique et esthétique, l'appréciation des formes.


La psychanalyse a beaucoup étudié le cinéma.
  • Le principe de réflexe conditionné de Ivan Pavlov, l'on peut déclencher des stimuli par émulation préalable (l'exemple le plus connu est sans doute celui du chien qui salive sans même présentation de la nourriture, mais parce qu'il est en proie au même stimulus qui a été associé à elle).
  • La réhabilitation de la théorie des foules venant du théâtre. Daniel Percheron identifiera différents rires, dont le rire critérium : tout le monde rie, il y a conditionnement et unité, les rires des autres amplifient le mien (voire le déclenche). Il y aura aussi le rire transgressif, qui est un mécanisme réflexe de prise de distance : le pacte de croyance est rompu, l'identification n'est pas établie
(note : ça explique pourquoi je ris tant dans le mauvais cinéma d'horreur...)
  • Carl G. Jung qui introduit la théorie d'une mémoire collective va aussi beaucoup inspirer les cinéastes. Baser les intrigues sur des mythes connus de tous pour de plus grands impacts (et c'est encore le cas actuellement, avec les américains qui nous ressortent toutes les mythologies grecques, romaines, mayas, etc.). C'est ce qu'appelle Dominique Parent-Altier la Tradition de la narration qui a fourni des « schemes » dont s'inspirent tous les récits.
    Des MacGuffin sont basés sur des mythes, dont les exemples les plus simples se situent dans la saga Indiana Jones (l'arche perdue, le saint Graal, les 13 crânes de cristal).

Par écho à la théorie des foules, Pascal Bonitzer (dans son système des émotions) parle d'émotion contagieuse, par l'identification réciproque des gens de la masse : mettre en scène des situations universelles que tout le monde aurait vécu pour influer sur l'ambiance de groupe, cette contagion durant tant que la relation identificatoire est effective.
Francis Vanoye parlait d'émotion-stress, instantanée, par des attractions spectaculaires (d'ailleurs, ça a été d'autant plus vrai avec le film-concert ("bain de sensation" → dolby et thx) et plus généralement le cinéma de foule post-moderne comme celui de Lucas et de Spielberg. Rendre le cinéma sensible).


D'ailleurs, n'est-ce pas sur cette relation empathique plutôt que pathétique que le cinéma devrait s'attarder ? Si la foule permet une émotion par contagion (et ensuite l'identification), le cinéma moderne tout entier, et une partie des cinéma post-moderne et contemporain fonctionnent sur la relation pathétique entre spectateur et personnage. Présenter l'histoire d'un personnage, seul ou groupe restreint, est une approche d'identification en premier lieu, par proximité, pour par la suite susciter de l'émotion.
Si dans le cinéma classique, l'histoire avançait l'émotion, aujourd'hui ce sont les personnages qui l'avancent. Ce n'est pas une mauvaise chose en soit. Seulement, la tendance du cinéma à être tout public, et classé familial pour un passage ultérieur à la télévision (c'est bien plus vrai en France qu'aux États-Unis), forcent les scénaristes à construire des personnages archétypes.
Certes, tout personnage part d'une idée, d'un mot, d'une ligne de conduite, ainsi que d'un "rôle" jugé archétype narratif (marâtre, ange gardien, chasseur, prince, etc.). Mais le développement du personnage l'en fait s'en éloigner pour que les conflits fassent apparaitre en lui ambiguïtés et complexité.
Or, pour une identification à la portée du plus grand nombre de gens possible, il faut des personnages phares dont la mentalité nous est révélée très rapidement. La simple utilisation d'acteurs vedettes pourraient permettre de réduire ce besoin de simplification ; or paradoxalement, à l'heure actuelle, elle l'amplifie. C'est regrettable...



Considérons néanmoins qu'aujourd'hui, les choses sont différentes. Le dispositif spectatoriel que définissait Christian Metz (son transfert perceptif), l'agencement-dispositif de la salle de cinéma (salle-écran-projecteur), et même le cinéma contemporain migratoire dont parlait Luc Vancheri (œuvres qui ont fait le trajet de la salle du musée, développant des installations vidéos par exemple, enfin tout ce qui n'est pas dans une salle de cinéma mais qui reste sur circuit d'exploitation professionnel), ne sont plus vraiment valables. Les lieux d'appréciation/consommation de ces œuvres ne se limitent plus au circuit d'exploitation professionnel. Aussi pourrait-on dédommager les productions actuelles de mettre en scène des intrigues simples et accrocheuses pour capter et conserver l'attention de leur public distrait et étranger à tout dispositif efficace d'appréciation.

Les plus ingénieux auront alors compris l'importance de l'interactivité que peut fournir les nouveaux médias, et notamment internet. Ne plus imposer sa progression dramatique, mais permettre au public, en qualité de personne singulière, de construire son propre récit par "morceau" et de passer du statut passif à celui d'actif. Sans présence, et donc attention, et acte du public : pas de progression. Autrement dit, des œuvres comme les P.O.M. (Petits Objets Multimédias) ou les fictions audios interactives arrivent à tirer parti (ou contre-carrer ?) cette sortie des circuits d'exploitation professionnels. Il en va de même pour le jeu vidéo qui multiplie les fins alternatives et les actions possibles au cours de la partie.


Où est passé le « spectateur idéal » de Roland Barthes ?


édition : je me permets l'ajout d'un petit lien après réflexion, qui parle aussi du sujet : http://denyscorel.over-blog.com/article-20444643.html

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