C'est "mon" scénario !

Tout à fait par hasard, je suis retombé sur quelques articles (un premier donnant lien à tous les autres) sur l'affaire de Sophia Stewart. Outre les différentes polémiques qui en sont ressortis canonnant paranoïa, mythomanie, manipulation/mutisme des médias, les vrais sujets de départ était finalement le plagiat et la protection de ses écrits.

→ À qui appartient le scénario ? Quelles sont les concessions qu'il faut accepter sans rechigner ?




C'est là qu'on observe les réelles différences de statut entre les scénarios de bandes dessinées, de films, de pièce de théâtre ou autre. Pour aller plus loin, on pourrait même dire avec légèreté qu'il y a deux classifications qui se mettent en place : le scénario de cinéma contre tous les autres.

Dans le cas d'un scénario de pièce de théâtre, il n'y a que la mise en scène et le jeu des acteurs qui peuvent la faire sensiblement varier d'une représentation à l'autre : on peut actualiser les costumes pour rendre davantage l'impact sur les spectateurs plutôt que se conformer aux codes vestimentaires de l'époque dans laquelle s'inscrit l'œuvre. On peut faire varier la composition et disposition des lieux, les dominantes de couleurs, les accessoires. Les acteurs feront vivre leur personnage en mettant en avant l'une ou l'autre de ses particularités mentales (éloignons nous du mythe de la psychologie de personnage, car elle imposerait une unique représentation du personnage, quelque soit le comédien qui l'incarne. Évoquons l'idée de mentalité du personnage, avec une certaine façon de penser, mais moultes conclusions à un problème et manifestations – tant physiques que de ton ou de comportement – de ces dernières) d'où les différents Sganarelle ou Dom Juan qui ont une certaine continuité dramatique mais des conflits moraux nuancés.

Pour en venir au fait que si la mise en scène diffère, les textes de départ restent base de travail. Il arrive que les dialogues soient revus et corrigés pour coller à une époque, ou un niveau de langue ; il est déjà plus rare qu'une pièce écrite en vers soit transposée en prose. Si les dialogues sont modifiés, ils suivent une continuité dramatique et une progression dans l'intrigue balisée par une délimitation en actes et composition en scènes.

Dans le cas d'un scénario de bande dessinée, il se produit un phénomène relativement similaire, outre que dans une pièce de théâtre, le metteur en scène ne travaille pas forcément en accointances avec le dramaturge (il est à regretter que les Molière, les Racine, les Corneille et De Vigny ne soient plus en vie pour discuter de mise en scène moderne de leurs pièces). Il change dans des possibles choix de dessinateurs le style graphique, les compositions en vignettes, etc. S'il se peut que le dessinateur soit aussi le scénariste, il est tout du moins l'un des auteurs de l'œuvre finale. Pas uniquement par les affects produits par ses dessins, mais aussi parce qu'il travail de concert avec le scénariste, modifiant de concert les répliques, les tics et mouvements et attitudes physique trahissant le comportement de chaque personnage, ou encore  le découpage en vignette pour permettre par exemple la mise en place de cliffhanger en chaque bas de page pour donner envie de passer à la suivante.
On peut donc dire sans se tromper que la bande dessinée s'apparente à une réelle co-écriture, ou pour le moins à un agencement du travail du scénariste par le dessinateur. (j'omets l'intervention du coloriste qui travaille lui aussi au rendu stylistique de la bande dessinée, mais qui effleure déjà moins la composition scénaristique)

Le jeu vidéo quant à lui est régit en partie par les mêmes termes de la relation scénariste-designer. Bien que sa propension d'inclure le "spectateur" comme participant de l'œuvre donne une autre dimension au travail d'écriture, en prenant en compte la progression, non pas de, mais dans l'intrigue d'un ou de protagoniste, en prenant en compte les limitations d'action et d'initiative du personnage de jeu vidéo dans son environnement. Du même fait, user de cinématiques pour suspendre la capacité d'action du spectateur-joueur dans l'évolution de l'intrigue (bien que l'interactivité est grandissante aujourd'hui, permettant un plus grand nombre d'action ou des modifications de l'intrigue en fonction des choix du joueur durant les périodes de dialogues, ou bien les actions effectuées, les quêtes secondaires effectuées ou les personnages ou objets acquis – ou rencontrés) correspond aussi à une certaine écriture et certaine ambition.

Dans le cas de la fiction sonore (radiohonique par exemple, mais pas uniquement), la composition de l'espace sonore, par les ambiances, les bruitages, les musiques, les jeux d'acteur des comédiens, le rythme, et la griffe du mixeur (manipulation de l'objet sonore créant le style), donne une dimension autre que celle du support papier. Il en reste néanmoins un travail en collaboration entre le scénariste et le mixeur. Ainsi, le ton de l'intrigue peut légèrement varier face à son support papier original, mais il subsiste une certaine fidélité vis-à-vis de l'œuvre originale.

Voyons le port-folio, ou P.O.M. comme on l'appelle aujourd'hui, comme un mélange du cas de la fiction sonore et de la bande dessinée.


Bref, dans tous ces cas de figure, l'écriture de ces scénarios est spécifique. Passer d'un support final à l'autre nécessite une réécriture sur le support papier initial. Du même fait des qualités du support final, il y a lors du processus d'écriture initiale une prise en considération des "limitations" de mise en scène, qui peut être technique d'une part, ou technologique d'autre part.
Pour ce qui est du point de vue de la paternité, on peut légitimement dire que les deux classes d'intervenants : le père de l'idée originale et auteur de la première écriture, et le conseiller du support final (dessinateur, ou designer graphiste, ou mixeur, ou monteur, etc.) et (co-)auteur des versions ultérieures (et notamment de la finale) du scénario.


Maintenant, considérons le cas du scénario de cinéma.

Premier souci : d'un pays à l'autre, quelques changements s'effectuent. Si la standardisation permet d'avoir des codes d'écriture qui restent extrêmement similaires d'un pays à l'autre, voire rigoureusement identique, c'est le processus de mise en image qui change notoirement. Contrairement à la France, les États-Unis ont mis en place un système de re-writing, plaçant parfois sur un scénario un bon nombre de scénaristes qui écriront ou participeront à l'écriture d'un ou de plusieurs versions du scénario (certains films allant parfois jusqu'à avoir subit une cinquantaine de réécriture avant tournage, voire même pendant tournage). La mise en place de script doctors, encourageant un formatage dans l'écriture, rajoute encore des réécritures et des noms à créditer sur une œuvre au départ appartenant à un seul Homme (ou deux).

Viens ensuite – à force de temps (et de chance) – la réalisation, qui apporte elle aussi son lot d'arias pour l'auteur originel. Prônant aujourd'hui (ce qui ne fut pas le cas pendant près de 80-100ans, sauf exceptions) sa qualité de création communautaire, le cinéma rajoute nombre d'intervenant dans le processus de mise en image.

Une chose est sûre : ce n'est pas discutable. Que d'orfèvres chez les directeurs de la photographies, que de génies chez les chefs-opérateurs cadre (et son, mais comme d'habitude, on s'en balance... c'est vraiment honteux) et les réalisateurs, quelle griffe chez les monteurs (surtout chez les mixeurs si vous voulez mon avis, parce que de nombreux monteurs ne font que suivre les propositions de leur réa... mais bon, je me répète), et que de talent chez certains dialoguistes !


Mais voilà qu'on en oublierait presque le scénariste dans cette histoire. Parce que si les plus reconnus jouissent de leur renommée – à moins que le réalisateur ne rencontre son scénariste pour œuvrer avec lui jusqu'au bout de la chaine de réalisation  – pour assister au tournage, et même parvenir jusqu'à la salle de montage pour exposer leur avis (reste à savoir s'il est pris en compte), il en reste de nombreux qui attendent sur le banc de touche. Se rongeant les ongles jusqu'au sang, ils attendent la projection pour constater, et uniquement constater, la réussite ou l'échec – à ne pas confondre avec fidélité et bafouement – du projet.


Les questions qu'on a pu se poser, et que certains se posent encore, sont :
  • l'argent considérable en jeu détache-t-il le cinéma des autres formes d'expressions scénarisées ?,
  • le nombre d'intervenants et de participants dans le processus de réalisation dépersonnalise-t-il le film de cinéma vis-à-vis de ses auteurs ?,
  • ou encore peut-on qualifier, ou même quantifier, l'intervention du nombre de personne participant à l'œuvre finale quant à son aspect esthétique ou artistique, et l'impact sur celle de départ (écrite) ?

Ce passage sous silence aujourd'hui des scénaristes au profit des réalisateurs est-il l'œuvre d'une ingratitude, ou la résultante d'une industrialisation ? Que sont les réalisateurs face à la nuée de scénaristes qui assaillent les studios de leur scénarios dont on attribuera la réécriture à d'autres scénaristes que l'on dit "confirmés" parce qu'ils ont l'avantage de l'antériorité et qu'ils ont compris la logique commerciale de leurs financiers potentiels ?

« Cher Frank, exerce donc ta fameuse "touch" sur ceci » dixit Robert Riskin sur la page de garde de 120 pages blanches qu'il envoya à Franc Capra adulé par la critique.

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