« Modèle » actanciel

Un petit préambule avant toute chose : pourquoi parler de formule d'écriture dans le libellé de ce message ?

Cela fait pas mal de temps que je fuis les "techniques d'écriture". Dans un domaine comme le scénario, il n'y en a pas selon moi.
Il n'y a pas de technique mécanique, de méthode miracle, donnant les clefs d'un scénario parfait, ou même bon. Ce qui existe, ce sont des formules, c'est-à-dire des procédés ordonnancés de telle sorte à participer à la création du dispositif du scénario, singulier. Ce dispositif est constitutif du référentiel et de l'univers propre à notre scénario. Entendons donc par formule des procédés, façons d'agir, qui aboutissent mécaniquement à des résultats sans finalité quant au fond de votre histoire. Les formules prennent une forme, un tenant similaire mais un contenu différent pour chaque œuvre. 

Par exemple, dans le présent propos de ce message qui met en avant le modèle actanciel, il faut y voir un matériau de construction, tel un plan ou du ciment. En soi, il ne vaut rien ; il n'est que constitutif au projet final. Autrement dit, tout comme l'on ne peut bâtir une maison avec trois types de ciments différents, il ne suffit pas uniquement de plusieurs formules d'écriture pour créer un excellent scénario. Elles ne sont présentes que pour le scénariste, en tant qu'aide pour la structuration de son récit, et désintéresse totalement les cibles et ou consommateurs (spectateurs, auditeurs, lecteurs, joueurs, ..., selon la forme finale que prendra votre scénario) de votre création. Ce n'est qu'un support de travail.



Le « modèle actanciel »

Il est un dispositif structurel, s'inspirant des théories de Vladimir PROPP, mis en place par le sémioticien A.J. GREIMAS en 1966 dans un ouvrage intitulé Sémantique structurale : recherche et méthode. Le modèle actanciel est notamment important pour les rapports de forces qu'il met en évidence entre les différents acteurs, qu'il nomme actants, du récit, ces rapports faisant évoluer – dans un objectif de progression plus ou moins marquée – narration, action, intrigue.

L'une des grandes idées développées est notoirement le statut de l'actant, pouvant être personnage, mais aussi sentiment, idée, idéologie, concept, etc. personnalisant l'impalpable en le mettant au même niveau d'existence qu'un être, exerçant une influence ou une emprise sur le personnage.



Six classes d'actants sont à l’œuvre dans le modèle actanciel :

- Le sujet

Il est personnage principal qui doit accomplir ou subir une « mission », mission de l'ordre de l'élimination (résolution ou non) d'un problème ou d'un besoin, nécessitant un acte de la part du sujet. Acte pouvant être volontaire ou involontaire, conscient ou inconscient.
- L'objet

Il est ce que convoite le sujet. Cet objet peut être matériel (argent, objet, lieu propriétaire, etc.) ou moins concret (amour, pouvoir, idéal, etc.). Par son acquisition se termine une mission.
- Le destinateur

Il est à l'origine de l'évolution du statut passif actif du sujet. Il peut être personnage (émetteur d'une quête ou détenteur d'une solution par exemple), souffrant lui aussi du problème ou ayant des intérêts à ce que le sujet n'en souffre plus, mais il peut être chose, idée, sentiment.
- Le destinataire

Aussi appelé récepteur ou bénéficiaire, il est personnage ou groupe de personnage qui profitera de l'élimination du problème. Ce peut-être le sujet lui-même, mais enrichi par l'acquisition de l'objet.
- Les adjuvants

Aussi appelés auxiliaires, personnages ou non, ils englobent tout ce qui vient au secours du sujet, de façon active ou passive, lui permettant en conséquence plus ou moins directe d'éliminer ledit problème, ou plutôt aidant le sujet dans son ambition d'acquérir l'objet.
- Les opposants

Ils englobent tout ce qui entrave l'acquisition de l'objet par le sujet, le diamétral opposé des adjuvants. Ils peuvent être personnage, hostile au sujet, à son objet, ou neutre, mais ils peuvent être moins concrets : sentiment, institution, lacunes constitutionnelles du sujet, etc.



GREIMAS met aussi en évidence l'existence de trois grands axes relationnels en fonction entre les différents actants du récit, et fait dans le même temps un schéma rapidement devenu célèbre et incontournable.

Schéma actanciel de A.J. GREIMAS


L'axe du vouloir mettant en relation le sujet et l'objet. Cette relation établie s'appelle jonction ; elle peut être conjonction si le sujet et objet sont conjoints (exemple : le prince désire la princesse) ou disjonction dans le cas contraire (exemple : un meurtrier réussit à se débarrasser du corps de sa victime).

L'axe du pouvoir mettant en relation adjuvants et opposants, les uns respectivement aidant à la jonction souhaitée entre sujet et objet, les autres y nuisant.

L'axe du savoir mettant en relation destinateur et destinataire, le premier réclamant que la jonction entre le sujet et l'objet soit établie, le second étant celui pour qui la mission est réalisée. On parle aussi de l'axe de la transmission (ou axe de la communication).



Le « modèle actanciel détaillé »

La force de la théorie de GREIMAS réside dans le fait qu'il y a autant de modèles que d'actions (réelles ou thématisée (action « imaginaire »)). De fait, chaque action peut être perçue d'un angle différent selon l'actant, multipliant encore davantage le nombre de formules. Il est de ces outils qui permettent d'analyser la cohérence d'un récit ainsi que sa construction.

\
Temps
Sujet observateur
Élément actant
Classe d'actant
Sous-classes

n

Temps de l'observation

Procède à l'intégration des éléments actants

Ce qui est actant

Sujet/objet/adjuvant/etc.
Factuel/possible, vrai/faux, actif/passif
« Modèle actanciel »


Temps de l'observation

Les classements sont aussi susceptibles de varier selon le temps de l'observation. Il existe divers temps et temporalités : le temps de l'histoire (ordre chronologique des événements), le temps du récit (ordre de présentation des événements), le temps tactique (enchaînement linéaire des unités sémantiques (d'une phrase à l'autre par exemple)). Il n'est pas rare de voir des adjuvants devenir opposants ou inversement, voire quitter le modèle actanciel.

Sujet observateur

La description actancielle doit tenir compte du sujet observateur qui procède à l'intégration des éléments actants dans les classes actancielles. Ce classement est généralement fait en prenant référence d'une vérité ultime du texte, souvent narrateur (surtout s'il est omniscient), mais il peut l'être d'observateurs – dits – assomptifs. Un personnage observateur croira, et peut-être à tort, que tel autre personnage est adjuvant pour telle action.
Syncrétisme actanciel
Un même élément peut se retrouver dans plusieurs classes actancielles.

« On appelle syncrétisme actanciel le fait qu'un même élément, appelé acteur (par exemple, un personnage au sens classique du mot), "contienne" plusieurs classes différentes ou de la même classe mais pour des actions distinguées dans l'analyse. »
dixit Louis HÉBERT
Modèle actanciel - Syncrétisme actanciel


Sous-classes d'actants
Il est des nuances à apporter à l'analyse et à l'intégration des actants dans leurs classes. En effet, tout personnage n'entrant pas dans la classe d'adjuvant, par exemple, n'est pas systématiquement un opposant. L'illustration d'un ami du sujet qui aurait pu et/ou dû aider et qui ne l'a pas fait ne sera pas considéré comme un opposant, mais comme un non-adjuvant. Plus précisément, il sera en premier lieu inclus dans les adjuvants possibles, puis – qui aurait du mais qui ne l'est pas devenu – passe en second lieu au statut des adjuvants factuels.

Un actant peut aussi se distinguer par son rapport actif/passif d'une action. Aussi peuvent se confondre des sous-classes comme : non-actant ; adjuvant possible non-avéré (possible mais qui ne devient pas factuel) ; opposant passif.

Cela peut correspondre par exemple à non-assistance à personne en danger.

Sur un autre plan, on pourra confondre adjuvant possible non-avéré et opposant actif, dans le cas où l'on porte atteinte à personne déjà en danger.


Dans un cas comme dans l'autre, il peut ne pas s'agir d'un personnage mais d'un appareil défaillant (exemple d'une alarme incendie qui ne sonne pas lors d'un feu) ou d'un animal (une personne qui se noie se fait, de surcroît, attaquer par un carnassier).

Tout actant personnage, dans le sens de créature pensante, pourra remplir consciemment ou non son rôle. D'un fait similaire, par un certaine nature d'être, un actant pourra être adjuvant partiel ou total.

« […] dire que le courage du prince est adjuvant pour sa propre cause est plus précis que de rapporter que le prince est globalement un adjuvant. »
dixit Louis HÉBERT
Modèle actanciel – Actants tout/partie

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