Auteur de "son" œuvre

Ingratitude consentie qu'est cette profession : scénariste.


Depuis la Nouvelle Vague, les scénaristes sont mis sous sourdine. Le plus étonnant est qu'on eu fait trôner, et c'est encore le cas aujourd'hui, François Truffaut à la tête de ce mouvement (qui aujourd'hui constitue la norme contre laquelle se dressent les autres mouvements) : le réalisateur est auteur du film (loi 1957).

À cette idée s'est additionnée depuis (loi de 1985) quelques techniciens (notamment le monteur passé auteur, ce qui constitue une injustice totale face au mixeur qui ne l'est pas encore, alors que la part de création est infiniment plus grande (mais comme d'habitude, par respect de l'historique il faut croire, le son passe après l'image) dans la mise en place de l'espace/du champ sonore), et les nombreuses quelques (rares ?) insurrections des scénaristes quant à la revalorisation de leur statut leur a, au moins, permis de toucher 93% des droits d'exploitation de leur œuvre vis-à-vis de la SACD en France.

Maintenant, demandons-nous pourquoi Truffaut. Car, si dans son article du 31e numéro des CahiersduCinéma de Janvier 1954, il invectif l'oligopole détenu notamment par le tandem Aurenche-Bost, et plus précisément quant aux libertés qui sont prises lors d'adaptations dites « honnêtes » ou « fidèles » alors que les faits sont moins catégoriques ; ou encore à la redondance de modèles de personnages et d'intrigues ; il ne condamne pas la légitimité d'« auteurisme » des scénaristes vis-à-vis de leurs œuvres. Bien plutôt il est question du statut et des mérites de feux, les metteurs en scène, devenus réalisateurs.

« Et puis l’indiscutable évolution du cinéma français n’est-elle pas due essentiellement au  renouvellement des scénaristes et des sujets, à l’audace prise vis-à-vis des chefs-d’œuvre, à la confiance, enfin, faite au public d’être sensible à des sujets généralement qualifiés de difficiles ? »
dixit François TRUFFAUT
CahiersduCinéma, n°31

C'est contre l'affirmation « Inventer sans trahir » que prônent – entre autres – Aurenche et Bost que le critique de l'époque s'insurge. La grande richesse littéraire dont s'est dotée la France au fil de nombreux siècles a donné lieu au phénomène d'adaptation, tandis que d'autres préférèrent l'original, qui ne fut juridiquement (et moralement ?) borné que tardivement. Aussi, des libertés "eurent" lieu. Peut-être est-ce que la notion de talent avait été confondu à celle de notoriété, ou de popularité ? Aussi devenait-il pressant de freiner les prises de libertés et réfréner les ardeurs des scénaristes. Seulement, les années qui ont suivi leur ont drastiquement coupé l'herbe sous les pieds. Ainsi ont assit, et ce sur un trône de marbre infrangible, l'évidence de leur intervention créatrice et artistique qui feront d'eux des Auteurs, les réalisateurs. Et cela en montrant le scénariste, dans sa qualité d'uniquement (seulement ?) scénariste, comme non-indispensable, non vitale, non nécessaire dans la processus de création cinématographique.

Ainsi, pendant que d'autres storybordaient, scriptaient et découpaient leurs scénarios, la Nouvelle Vague mit en exergue l'Auteur-Réalisateur, dont ce ne fut plus les intrigues qui devinrent redondantes, mais les cadrages. Glorieuse évolution. Un bien (?) pour un mal (!).

note : quand on sait qu'une fois passé réalisateur, Truffaut ne scénarisera que son premier film et laissera l'écriture des autres à des scénaristes, on peut légitimement trouver ça cocasse.


Si aujourd'hui il est vrai que l'on formate le scénario et ses modèles pour convenir aux producteurs, et investisseurs, il en était déjà le cas auparavant. À cette phrase : « l'influence d'Aurenche et Bost est immense... », je ne vois que l'évidence que l'on est fils de son Temps d'une part, et d'autre part que les recettes qui fonctionnent, les intervenants commerciaux de la chaine cinématographique les réutilisent jusqu'à plus soif, jusqu'à les vider de leur substance productrice d'affects. L'éclectisme du spectateur lui a été ôté pour faire appel à "ses" préjugés, "ses" pré-avis, qui ne sont rien d'autre qu'une sollicitation à un intellect collectif inconscient bâtit sur des modèles ancestraux (mythes, ...) ou construit par les institutions (socialisations primaire et secondaire, religions, ...).

Qu'est-ce que nous déchantons face aux belles promesses de la Nouvelle Vague, que nous pleurons l'heureux temps des scénaristes. Car qu'a-t-il été changé depuis cette lapidation truffautienne du réalisme psychologique ? Ne vidons nous pas l'essence des belles phrases en les ressassant, remâchant, re-writtant ? Ne massacrons-nous pas encore des œuvres en les adaptant pour tout public, laissant l'intrigue pâteuse à l'abominable fadeur, sans parti pris aucun ? Ne reprenons-nous pas aujourd'hui les mythes et légendes pour les adapter mille fois ?

« Aussi, des libertés "eurent" lieu. »
Faux ! Rien n'a jamais été autant d'actualité !



Il faudrait voir le scénariste comme auteur de leur œuvre. Le cinéma est un art communautaire. Pas seulement parce qu'apportent leur griffe les techniciens, réalisateur, etc. mais parce que la dimension d'industrie a de plus en plus cruellement tendance à user des succès, eux-même basés sur d'autres en reflétant l'inconscient collectif, comme calque des prochains à venir.
Si le cinéma d'Auteur tend à imposer un clivage face à cette dimension industrielle, seuls les orfèvres, tant cinéastes que scénaristes, s'extirpent des conventions et parviennent à marcher en dehors des clous.

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